Titre : Santé et sécurité pour emporter!
Nom de fichier de l’épisode #159 : Intelligence artificielle — Répercussions sur les travailleurs — Bill Wilkerson
Introduction :
Bienvenue à « De la SST pour emporter », une
présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.
Hôte : La propagation actuelle de l’intelligence artificielle
dans la science, la culture, la société, l’emploi et l’économie aura de grandes
conséquences. Elle représente un changement révolutionnaire,
qui remplacera de nombreux emplois et de nombreuses tâches actuellement
réalisés par des êtres humains.
Merci de vous joindre à nous pour cet épisode de « SST pour emporter ». Notre invité d’aujourd’hui est Bill Wilkerson, président exécutif de Mental Health International et professeur d’industrie en santé mentale à l’échelle internationale à l’Université McMaster. Bill est l’auteur d’un nouveau rapport qui s’adresse aux dirigeants du gouvernement, des sciences et des affaires. Dans ce rapport sur la santé mentale à l’ère de l’intelligence artificielle, intitulé One Human One Not : Mental Health in the Era of Artificial Intelligence, il est recommandé que l’intelligence artificielle soit gérée avec soin afin d’empêcher qu’elle ne devienne un obstacle majeur à la santé mentale et au bien-être des travailleurs et des familles. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui, Bill.
Bill : Je suis heureux d’être ici.
Hôte : Quel est le principal message de votre rapport? Êtes-vous en train de dire que tout est mauvais?
Bill : Non, pas du tout, tout n’est pas mauvais. Il y a une phrase qu’utilisent certains experts dans le domaine, et même les partisans de l’intelligence artificielle, ils parlent « de la promesse et du péril de l’intelligence artificielle », et c’est vraiment ce à quoi je fais référence. La promesse est que, oui, l’intelligence artificielle peut aider l’humanité, et dans le domaine de la santé mentale, elle pourrait en fait produire de nouvelles applications qui pourraient aider à améliorer le traitement des problèmes de santé mentale. Mais du même coup, elle a un important potentiel d’imposer aux employés des périodes de grande incertitude, des pertes d’emploi, des suppressions d’emploi et le sentiment d’avoir perdu leur place au sein du milieu de travail, et donc de menacer leur famille et leur bien-être économique. Il s’agit donc des deux côtés de la médaille.
Hôte : Quels sont certains exemples de l’IA sur le lieu de travail et de répercussions pour les travailleurs?
Bill : L’une des répercussions ou l’un des exemples je suppose, donc l’une des conséquences, est cette question d’une incertitude, je dirais, envahissante et maligne. Lorsque vous avez une révolution technologique comme celle-ci, révolution qui est plutôt sans précédent dans notre histoire, vous pouvez susciter chez les travailleurs la crainte qu’ils seront touchés de manière très négative, et cette crainte peut persister pendant une grande période. Et ce sont ces courants sous-jacents qui mènent à la détresse humaine et même aux troubles mentaux. L’incertitude omniprésente est un facteur de stress qui peut avoir un effet assez néfaste sur la santé mentale et le bien‑être des gens. C’est donc le facteur de l’incertitude. Une autre des répercussions est l’idée effrayante selon laquelle des machines intelligentes pourraient devenir essentiellement des « collègues » des employés plutôt que des technologies utiles contribuant à améliorer la production, et c’est tout aussi dangereux, parce qu’une telle idée vient miner la conscience de soi des employés et la perception qu’ils ont de la place qu’ils occupent, ce qui peut nuire à leur capacité de fonctionner sainement.
Enfin, je pense que ce que nous devons comprendre, c’est que l’intelligence artificielle ne possède pas les traits uniques des humains, et que nous ne devons donc pas nous attendre à ce qu’elle fasse ce que les êtres humains font de manière unique, comme faire preuve d’empathie, écouter attentivement les autres, collaborer et se soutenir mutuellement en milieu de travail. Elle a donc des limites, et si celles-ci sont exagérées, cela aurait pour effet de surestimer ses capacités.
Hôte : Existe-t-il des solutions ou des moyens de faire face aux répercussions de l’IA sur le milieu de travail?
Bill : Oui, nous en proposons dans le rapport. Nous proposons une série de choses. L’une d’elles consiste à établir un ensemble de normes pour définir, du point de vue de l’employeur, quelles valeurs doivent guider la mise en œuvre de l’intelligence artificielle dans le milieu de travail. Et je dois ajouter que le gouvernement du Canada, en tant qu’employeur, a déjà émis une directive à l’intention de ses propres cadres supérieurs pour veiller à ce que ceux-ci fassent preuve d’éthique et d’humanité dans le déploiement de l’intelligence artificielle, maintenant et dans l’avenir.
Nous pensons également qu’il devrait y avoir une réelle volonté d’investir dans les personnes, parallèlement à l’investissement dans la technologie. Et par là, je veux dire investir dans la rééducation professionnelle, qui est une sorte de nouvelle expression qui remplace le terme « recyclage ». La « rééducation professionnelle » des personnes leur permettrait de prendre à nouveau leur place dans une économie fortement numérisée.
Aussi, nous croyons que les considérations liées à la santé mentale devraient être intégrées directement dans les stratégies générales que les gouvernements et les entreprises technologiques élaborent actuellement. Plus précisément, je suis heureux d’annoncer que la stratégie pancanadienne du gouvernement fédéral sur l’IA en cours d’élaboration comprendra des considérations liées à la santé mentale découlant de notre rapport, et d’autres de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’intelligence artificielle et du numérique du Québec.
Ces deux initiatives sont donc en train de s’équiper, si vous me permettez l’expression, pour prendre en compte non seulement les effets technologiques et pratiques ou opérationnels pratiques de l’intelligence artificielle, mais aussi l’impact sur les êtres humains et leur santé mentale et leur bien-être. Nous devrions aussi noter, je pense, qu’il existe des centaines de comités internationaux au sein de groupes qui travaillent sur la nature des effets de l’intelligence artificielle sur les gens. Donc ce que je présente dans ce rapport ne constitue pas une seule voix isolée que je projette. En fait, il s’agit d’une préoccupation que reconnaissent les dirigeants dans le domaine qui sont de fervents partisans et développeurs de l’intelligence artificielle, qui s’inquiètent de cette double proposition d’être à la fois — une chose prometteuse dans nos vies et une chose dangereuse dans nos vies. Nous devons donc accepter et comprendre qu’en répondant aux préoccupations, nous ne surestimons pas le problème.
Hôte : Vous écrivez sur la capitalisation humaine. De quoi s’agit-il et pourquoi est-ce important?
Bill : La capitalisation humaine est une expression que nous avons présenté pour illustrer le fait qu’à notre avis, il y a un besoin essentiel à satisfaire, c’est-à-dire d’investir autant dans les gens que dans la technologie, ce qui représente des milliards de dollars dans les deux cas. Nous pensons donc que les dépenses, si vous voulez, pour les programmes de santé, les dépenses en recyclage et en rééducation professionnelle, les dépenses pour aider les personnes à s’adapter à une économie fortement numérisée, devraient être considérées comme un investissement en capital, tant pour des raisons comptables que pour des raisons fiscales. Et le fait est que si vous investissez dans des usines et de l’équipement, vous pouvez reporter ces coûts sur une période de temps à des fins fiscales, ce qui est très avantageux pour l’employeur ou pour l’investisseur.
Selon les règles actuelles, dépenser pour les gens constitue une dépense de l’exercice en cours et donc un coût immédiat, ce qui peut dissuader d’investir dans les gens et l’option devient, si c’est un coût, qu’est-ce que vous faites avec les coûts? Eh bien, vous avez tendance à réduire les coûts, et donc les mises à pied prolifèrent.
Nous estimons donc que les investissements dans les gens, et donc dans la capitalisation humaine de l’économie numérique, sont censés, car ils permettent de faire en sorte que les politiques fiscales considèrent de telles dépenses comme des investissements en capital, et ils incitent donc les employeur à les faire plutôt que de les traiter comme des coûts de l’exercice en cours exerçant essentiellement des pressions sur le bilan, qui les poussent à ne vouloir faire qu’une chose, soit réduire ces coûts en réduisant l’emploi. Cette fois, évitons cela.
Apprenons aussi, je suggère, des effets de la mondialisation. Nous avons laissé la mondialisation exclure un très grand nombre de personnes, dans un très grand nombre de régions, de communautés, de pays et par-delà les frontières, et il faut espérer que nous en avons tiré des leçons pour nous assurer que nous ne créons pas une nouvelle génération de personnes perdues au milieu d’un changement révolutionnaire.
Hôte : Vous avez parlé des stratégies fédérales et québécoises sur l’IA. La santé mentale est-elle intégrée à la stratégie du gouvernement canadien sur l’intelligence artificielle?
Bill : Eh bien, elle le sera dorénavant. Franchement, ce n’était pas le cas avant que notre rapport soit publié et que j’ai eu des discussions avec le président-directeur général de l’Institut canadien de recherche avancée, le Dr Allen Bernstein, qui a acquiescé immédiatement lorsque nous en avons discuté. C’est une chose qui avait et qui devrait avoir sa place dans les plans stratégiques pour établir la façon dont l’intelligence artificielle sera déployée dans tout le pays, ou du moins pour fournir des normes pour guider ce déploiement. Et il en va de même avec le Dr Rémi Quirion, expert scientifique en chef du Québec, et lorsque nous avons rencontré Rémi, il a aussi acquiescé. Et donc nous considérons la santé mentale comme une composante nécessaire de la capacité de production de nos jours, car dans une large mesure, l’esprit des gens, la puissance cérébrale des gens fait le gros du travail pour les entreprises aujourd’hui, pas le dos, les jambes et les bras.
Le travail manuel est en train de disparaître, selon les gens, et cela signifie que nous sommes dans une économie du cerveau, et la santé du cerveau devient donc un ingrédient essentiel de la capacité de production. À cet égard, la santé mentale peut donc apporter l’innovation, la créativité et de meilleurs services. Elle peut fournir les éléments essentiels de la réussite économique et du développement dans une économie de cette nature.
Hôte : Avez-vous des observations finales ou des réflexions que vous souhaiteriez partager?
Bill : Oui, voici ce que je pense — je veux que les gens voient ce rapport, qui est disponible sur Mentalhealthinternational.ca, non pas comme un élément qui essaie de susciter l’appréhension, mais plutôt comme un élément qui essaie de souligner que l’intelligence artificielle est censée être née de l’intelligence humaine. Eh bien, je n’accepte pas cette proposition, sauf dans le sens le plus étroit du terme. L’intelligence humaine correspond en fait aux humains, et donc nous ne pouvons pas laisser une ambiguïté déterminer notre perception du rôle humain lorsqu’il s’agit du facteur humain au travail dans une ère où la numérisation devient vraiment omniprésente. Et je veux simplement m’assurer que lorsque nous parlons d’investir dans l’intelligence artificielle, nous parlons aussi d’investir dans les employés. Que lorsque nous parlons d’investir dans des choses, nous parlons aussi d’investir dans des gens et c’est la proposition fondamentale énoncée dans ce rapport.
Hôte : Merci beaucoup, Bill. Pour obtenir de plus amples renseignements ou des ressources et pour télécharger une copie du rapport de Bill Wilkerson, Two Minds – One Human One Not – Mental Health in the Era of Artificial Intelligence, visitez le site Web de Mental Health International au www.mentalhealthinternational.ca et le site CCHST.ca. Merci à tous de votre attention.