Titre: De la SST pour emporter!
Episode #164 – Norme relative au soutien des aidants naturels dans les milieux de travail : Combler l’écart entre la prestation de soins et le travail
Introduction: Bienvenue
à “De la SST pour emporter”, une présentation du Centre canadien
d’hygiène et de sécurité au travail.
Hôte: Merci de vous joindre à nous pour cet épisode de la série « De
la SST pour emporter!». Notre invitée aujourd’hui est la Dre
Allison Williams. Elle est professeur à l’Université McMaster et titulaire de
la chaire de recherche sur le genre, le travail et la santé des IRSC, et a
présidé le comité qui a créé la norme CSA publiée récemment intitulée «
Organisations favorisant et appuyant les aidants naturel ». Cette norme vise à
aider les employeurs à soutenir les personnes au Canada qui prodiguent des
soins et offrent leur aide à des membres de leur famille ou à des amis qui
vivent avec une maladie, tout en occupant un emploi. Merci de vous joindre à
nous aujourd’hui, Dre Williams.
Allison: Tout le plaisir est pour moi, je suis ravie d’être ici.
Hôte: Quelle situation ou quelles circonstances vous ont poussé à créer la norme « Organisations favorisant et appuyant les aidants naturel »?
Allison: À St. Catharines, les autorités de santé publique locales m’ont appelé et m’ont demandé si elles pouvaient faire appel à moi pour effectuer une partie des travaux qu’elles réalisaient dans le domaine des soins à domicile. J’ai accepté et j’ai commencé à travailler assez étroitement avec elles, avant que notre système de santé ne soit, vous savez, considérablement restructuré, notamment en ce qui concerne la sous‑traitance des services de soins à domicile. Et c’est dans le cadre de cette expérience que j’ai pu me rendre au domicile des aidants naturels et comprendre le type de pressions, d’intentions et de problèmes auxquels ils étaient confrontés au quotidien, en particulier lorsqu’il s’agissait de s’occuper de membres âgés de la famille souffrant de maladies chroniques et, dans certains cas, ayant reçu un diagnostic de maladie en phase terminale.
Et puis j’ai passé une dizaine d’années à étudier la prestation de compassion après son inauguration à titre de programme fédéral offert à tous les Canadiens, et plus particulièrement aux Canadiens qui ont un emploi. Nous avons donc passé une dizaine d’années, moi et mon équipe de recherche, y compris les adjoints de recherche, les étudiants aux études supérieures et d’autres, à évaluer la prestation de compassion du point de vue des aidants familiaux, ainsi que de divers autres points de vue, notamment ceux des professionnels de la santé, en particulier les travailleurs sociaux, les infirmières et les médecins. Grâce à ces recherches, vous voyez, cela a quelque peu changé la donne quant aux critères d’admissibilité employés pour déterminer qui peut faire une demande et qui peut être bénéficiaire dans le cadre de la prestation de compassion.
C’est ainsi que j’ai commencé à comprendre que les aidants gèrent de multiples stress et tensions dans leur rôle d’aidants naturels membres de la famille ou amis, ou même quelquefois voisins, non rémunérés. Et lorsqu’ils sont confrontés au stress supplémentaire lié à leur emploi, il devient de plus en plus difficile pour eux de gérer les contraintes tant spatiales que temporelles que cela implique, sans parler du fait que nous disposons tous chaque jour d’une énergie limitée. Cela a donc suscité mon intérêt et j’ai commencé à m’intéresser à ce domaine et à étudier les employés-aidants, c’est‑à-dire les personnes qui occupent un emploi tout en prodiguant des soins informels ou en agissant comme aidants naturels. Je reconnais que nombre de ces employés-aidants assument de nombreux rôles en plus de ceux d’aidants et d’employés. Certains d’entre eux sont également parents et ont plusieurs jeunes à leur charge. Ils ont souvent une ou plusieurs personnes plus âgées à leur charge, dont ils doivent également s’occuper, des frères et sœurs, des membres de la famille élargie, des voisins et des membres de la communauté. Ainsi, vous voyez, lorsqu’on tient compte, une fois encore, que le temps, l’énergie et l’espace sont limités dans une journée, la question de l’équilibre travail‑famille devient un véritable enjeu.
Ainsi, les travaux sur la prestation de compassion m’ont vraiment amené à considérer le milieu de travail comme un agent, si vous voulez, ou un facilitateur, pour soutenir les employés-aidants et gérer au mieux à la fois leur emploi et leur rôle d’aidant, en plus des multiples autres rôles qu’ils assument souvent. Et donc, quand on réfléchit à cette orientation et qu’on reconnaît que l’État, c’est-à-dire le gouvernement, à l’échelon fédéral, provincial ou local, dispose de capacités d’intervention très limitées, et compte tenu du fait que les agences de personnel, du point de vue des individus, des familles, des voisins ou de la communauté, sont de plus en plus limitées, et aussi que nous connaissons une diminution de la taille des familles au Canada ainsi qu’une mobilité accrue pour le travail, et que nous observons de plus en plus de familles de forme et de taille variées, reconstituées et monoparentales, on constate donc que la structure familiale en soi change. Notre société est généralement caractérisée par une diminution de la cohésion sociale et du capital social. Et donc, lorsque nous pensons à toutes ces variables dans leur ensemble, le milieu de travail est réellement la seule institution qui peut encore soutenir le volet sur la conciliation travail-vie personnelle. C’est pourquoi on s’est véritablement attaché à déterminer en quoi le milieu de travail, quelle que soit sa taille ou son secteur d’activité, peut en fait jouer un rôle, devenir un agent et mieux aider les employés-aidants à trouver un juste équilibre et de conserver leur rôle, à la fois comme aidants et comme employés.
Hôte: Quels types d’organisations et de milieux de travail peuvent utiliser la norme, et qui devrait se charger de sa mise en œuvre?
Allison: Les organisations qui mettent en place des mesures d’adaptation pour leurs employés-aidants présentent généralement un certain nombre de caractéristiques, et l’on appelle ces organisations des milieux de travail favorisant les aidants naturels. Ces milieux de travail favorisant les aidants naturels sont généralement suffisamment grands pour disposer d’un service des ressources humaines. Ils ont donc la capacité de faciliter les mesures d’adaptation. Beaucoup d’organismes de services de santé, notamment les organismes éducatifs, beaucoup donc, toujours dans le secteur des services de façon plus générale, disposent d’un tel bassin d’employés, et tous les types d’organismes et de milieux de travail peuvent en fait utiliser la norme, car la norme en elle-même constitue essentiellement un protocole qui peut être adapté à tout organisme ou milieu de travail. La seule condition préalable est qu’il y ait une intention et une motivation à créer une série de mesures d’adaptation ou, là encore, un programme favorisant les aidants naturels qui permet aux employés-aidants de conserver leur poste sur le marché du travail, tout en continuant de faire de leur mieux pour continuer d’assumer leur rôle en tant que fournisseurs de soins informels et rémunérés.
Hôte: Comment les lignes directrices figurant dans la norme peuvent-elles être mises en œuvre?
Allison: Comme je l’ai mentionné, il s’agit en quelque sorte d’une recette ou d’un protocole que toute organisation devrait suivre, dans le cadre duquel les responsables devraient d’abord établir les bases d’un tel programme ou d’un ensemble de politiques. Et ils le feraient en procédant essentiellement à un examen de leur leadership actuel, car ils auraient besoin de leadership, et il leur faudrait un champion pour faire progresser le processus. Ils devraient également faire participer les travailleurs et créer un comité, afin que le travail soit, là encore, partagé entre les membres d’un comité d’employés. Donc, idéalement, il faudrait que les employés, les parties prenantes et les RH participent. S’il n’y a pas de service des ressources humaines, alors il faudrait que certains administrateurs exécutifs participent, comme des directeurs et des superviseurs.
Et l’étape suivante consiste essentiellement à déterminer et à communiquer ce qui fonctionne déjà. Ainsi, il peut déjà y avoir, par exemple, vous voyez, une politique en matière de congé familial, ou il peut y avoir une certaine flexibilité ou des possibilités de télétravail déjà offertes. Il faut donc examiner ce qui fonctionne, examiner la situation en ce qui concerne les avantages et les mesures d’adaptation déjà prévus, et ce qui est utilisé concrètement, et déterminer les lacunes, les éléments disponibles et les éléments utilisés, et mieux établir et mettre en œuvre le programme en soi, qui correspond, là encore, aux lignes directrices appropriées pour le secteur en particulier et le milieu de travail comme tel.
Et enfin, les responsables de l’organisation devraient passer au processus de contrôle, c’est-à-dire analyser le programme, mesurer son degré de réussite et l’améliorer, en plus d’effectuer des vérifications pour déterminer les possibilités d’amélioration. Donc, comme vous pouvez le voir, la norme représente vraiment un processus, si vous voulez, qui permet à tout milieu de travail de créer un ensemble de directives efficaces dans les limites et les paramètres propres à son domaine d’activités, à sa taille et à son profil démographique.
Ainsi, vous voyez, la politique proprement dite consiste en fait à fixer des buts et des objectifs, à revoir les exigences, à s’engager à mettre en place des mesures d’adaptation, à vérifier leur fonctionnement et à les améliorer continuellement. Il y a des variations d’un milieu de travail à l’autre, pour ce qui est des mesures d’adaptation proprement dites, mais là encore, en créant un comité avec un effectif engagé, vous pouvez élaborer les politiques en matière d’employés-aidants à partir de l’intérieur. Ainsi, l’idéal serait que le comité organisationnel comprenne un certain nombre d’employés-aidants, qui pourraient ou non avoir bénéficié de mesures d’adaptation offertes par leur milieu de travail.
Donc, il s’agit vraiment pour les responsables du milieu de travail de prendre un engagement et de reconnaître qu’il existe certaines exigences juridiques, de même que des responsabilités sociales et éthiques, auxquelles ils doivent prêter attention. S’ils ont la volonté, en fait, de maintenir en poste leur effectif et de gérer ou réduire les coûts liés à l’invalidité, s’ils ont le souci de s’assurer que leur effectif est productif, s’ils cherchent à gérer au mieux le présentéisme et à réduire au minimum l’absentéisme, alors ils pourront améliorer la productivité et réduire l’absentéisme. Ils seront à même de réduire le nombre d’employés qui se présentent au travail malgré le fait qu’ils sont malades. Ils disposeront d’un effectif engagé, et auront moins d’employés qui prennent des congés d’invalidité ou de maladie, car ils auront su gérer de manière appropriée l’équilibre travail-famille en vue de minimiser les effets exponentiels d’une mauvaise santé mentale, qui risquerait de se transformer en mauvaise santé physique et d’augmenter les coûts liés à l’invalidité que l’employeur devrait payer à long terme.
Et donc, vous voyez, l’idée générale de faire une telle analyse contextuelle des avantages et des pratiques actuels relativement aux mesures d’adaptation nécessite vraiment d’examiner les services de soutien, par exemple, comme ceux offerts dans le cadre des programmes d’aide aux employés (PAE). Examiner ce qui est actuellement offert en ce qui concerne les modalités de travail flexibles, comme le travail à domicile ou le partage d’emploi. Chercher également des stratégies de soutien aux employés, comme un atelier de formation, des déjeuners-causeries, des soutiens en matière de soins aux travailleurs comme, par exemple, la création d’un groupe de soutien aux aidants, qui se réunirait une fois par mois au travail pendant l’heure du midi.
Il s’agit donc, là encore, d’une question d’éducation ouverte, de la recherche de possibilités correspondant à la structure particulière et aux attentes d’un effectif donné. Cela pourrait être aussi simple que de disposer de quelques places de stationnement à proximité de la porte de sortie, afin que les employés-aidants puissent partir rapidement à l’heure du dîner s’ils ont un rendez-vous chez un spécialiste avec la personne dont ils s’occupent, ou pour rentrer chez eux afin de pouvoir être présents pendant qu’une préposée aux services de soutien ou une infirmière à domicile rend visite à la personne dont ils s’occupent.
Donc, là encore, il s’agit, vous voyez, d’adopter des mesures potentielles, modestes ou importantes, en fonction des éléments connus, mais en définitive, l’objectif est d’améliorer le travail des aidants, la santé des aidants, en leur offrant un meilleur équilibre travail-famille. Ainsi, nous avons constaté dans le cadre des recherches à plus grande échelle sur les employés-aidants, que si ces derniers ne bénéficient pas de mesures d’adaptation au travail, ils quittent souvent leur emploi, ce qui signifie qu’ils prennent une retraite anticipée ou qu’ils donnent leur préavis et quittent carrément leur emploi. Certains passeront d’un emploi à temps plein à un emploi à temps partiel, ou d’un emploi à temps partiel à un emploi occasionnel, ou encore ils changeront de milieu de travail pour se rapprocher de la personne dont ils s’occupent, que cette dernière vive avec eux à la maison ou vive de façon autonome dans la communauté.
Idéalement, si l’employeur souhaite ardemment conserver son personnel qualifié, et nous savons que les employés-aidants ont généralement entre 35 et 65 ans, et il s’agit donc souvent du personnel le mieux formé et le plus expérimenté, il incombe donc vraiment aux responsables du milieu de travail de reconnaître qu’ils peuvent jouer eux‑mêmes un rôle pour conserver leurs employés-aidants et soutenir l’emploi de ces derniers. Car la dernière chose que les employés-aidants souhaitent est de quitter leur travail, car souvent le travail ne fait pas que rapporter un chèque de paie, il procure aussi un sentiment d’appartenance et d’identité.
Hôte: Avant de terminer, y a-t-il des réflexions finales dont vous souhaitez nous faire part?
Allison: S’il y a une dernière réflexion que je souhaiterais partager, c’est qu’il faut encourager les employés-aidants à s’auto-identifier comme aidants. Là encore, les supérieurs hiérarchiques, les cadres, les collègues peuvent faire ce qu’ils peuvent pour les soutenir, car nous nous retrouverons tous dans cette situation à un moment ou à un autre. Nous serons peut-être même dans une telle position à plusieurs reprises au cours de notre vie professionnelle.
Ensuite, il faut réellement encourager le changement de culture nécessaire dans le milieu de travail, afin que ce dernier reconnaisse que la prestation de soins constitue un enjeu, qu’elle est une réalité. Ainsi, lorsqu’un employé-aidant demande, par exemple, de commencer à travailler plus tôt pour être en mesure de quitter le travail plus tôt, ou d’éventuellement travailler deux jours sur cinq à partir de chez lui, ou encore de partager un emploi, il faut considérer de telles demandes comme de réelles possibilités, afin non seulement de retenir cet employé formé, mais aussi de lui permettre de continuer à jouer un rôle et à profiter des avantages d’être employé. Et par conséquent, on conservera les employés-aidants qui travaillent pour le bénéfice non seulement de l’employeur, mais aussi pour le leur et celui des personnes à qui ils prodiguent des soins.
Hôte: Je vous remercie encore de vous être jointe à nous aujourd’hui, Dre Williams. Des liens vers la norme relative au soutien des aidants naturels dans les milieux de travail ainsi que le guide de mise en œuvre qui l’accompagne se trouvent sur le site Web du CCHST (cchst.ca) et sur le site Web de l’Association canadienne de normalisation (csagroup.org/fr). Merci à tous de votre attention.