Introduction
Ce balado vous est présenté par le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.
Chris
Les lésions cérébrales peuvent figurer parmi les blessures les plus graves au travail. Au cours des dix dernières années, le nombre de commotions cérébrales signalées a augmenté. Malgré cette augmentation du nombre de cas déclarés, les lésions cérébrales liées au travail sont un domaine sous‑étudié, surtout en ce qui concerne les travailleurs civils. Pour nous aider à mieux comprendre les lésions cérébrales acquises, leurs effets sur les employés et leur employeur, et l’importance du soutien, la Dre Angela Colantonio, professeure en sciences du travail et en ergothérapie à l’Université de Toronto, se joint à nous aujourd’hui. La Dre Colantonio est aussi titulaire d’une chaire de recherche du Canada sur les traumatismes cérébraux dans les collectivités mal desservies.
Nous sommes également accompagnés par la Dre Tatyana Mollayeva, scientifique affiliée au KITE Toronto Rehabilitation Institute, qui fait partie de l’University Health Network, et professeure adjointe à la Dalla Lana School of Public Health.
Enfin, Halina Haag, travailleuse sociale autorisée, candidate au doctorat et chargée de cours de la Faculté de travail social Wilfrid Laurier, se joint également à nous. Bienvenue à vous trois et merci d’être ici.
Commençons avec vous, Dre Colantonio; pouvez-vous nous parler un peu de vos recherches et des types de lésions cérébrales que vous avez constatés chez les travailleurs?
Dre Angela Colantonio
Alors, dans notre laboratoire sur les lésions cérébrales acquises à l’Université de Toronto et au Toronto Rehabilitation Institute, nous avons fait le suivi des lésions cérébrales traumatiques et non traumatiques en Ontario tout au long du continuum de soins. L’objectif était de fournir aux intervenants des données récentes sur les survivants de traumatismes cérébraux pour faciliter la planification des services de santé, l’affectation des ressources, l’élaboration des politiques, l’évaluation, l’éducation et la prévention. Dans le cadre de nos recherches sur les lésions cérébrales chez les collectivités mal desservies, nous examinons les facteurs qui influent sur l’incidence et la prévalence des lésions cérébrales, la prestation de services et l’accès à ceux-ci, la réintégration dans la collectivité après la lésion et la prévention des blessures chez les populations ayant subi des lésions cérébrales. Certaines des populations étudiées comprennent les personnes en situation d’itinérance, les personnes ayant des démêlés avec le système de justice, les personnes ayant subi une lésion cérébrale causée par la violence, les aînés, les enfants et les adolescents ainsi que dans les collectivités autochtones et racialisées.
Selon nous, notre laboratoire est celui qui a apporté la plus grande contribution à l’échelle mondiale au domaine des lésions cérébrales liées au travail, un domaine sous-étudié. Beaucoup d’attention est accordée aux travailleurs d’élite comme les athlètes professionnels et les militaires des Forces armées canadiennes, mais nous nous concentrons plutôt sur les populations civiles dans leur ensemble. Et c’est important parce que les lésions cérébrales peuvent figurer parmi les blessures les plus graves au travail. De plus, le nombre de cas signalés de commotions cérébrales, qui sont une forme de lésion cérébrale plus légère, a considérablement augmenté au cours des dix dernières années.
Nos recherches sur les lésions cérébrales liées au travail ont permis de cerner les facteurs de risque propres à certains secteurs industriels et la présence de répartitions distinctes entre les secteurs industriels et les mécanismes de blessure. Nous avons constaté que la plupart des décès liés au travail qui impliquent des lésions cérébrales se sont produits chez des travailleurs de sexe masculin et que ces derniers sont cinq fois plus susceptibles de travailler dans un milieu présentant des risques de lésions cérébrales.
Toutefois, lorsque nous avons examiné les blessures traumatiques causées par des agressions en milieu de travail en Ontario, nous avons constaté que les travailleuses subissaient souvent des blessures concomitantes à d’autres parties du corps en plus des blessures à la tête. Les travailleuses ayant subi une lésion cérébrale traumatique à la suite d’une agression au travail avaient tendance à occuper un emploi dans le secteur des soins de santé, des services sociaux ou de l’éducation, tandis que les travailleurs de sexe masculin provenaient souvent du domaine de l’application de la loi ou de l’administration publique. Dans l’ensemble, les travailleurs qui subissent une lésion cérébrale causée par une agression au travail avaient tendance à s’absenter plus longtemps.
Chris
Ainsi, tant les travailleurs que les travailleuses subissent des traumatismes cérébraux sur leur lieu de travail, mais dans différents secteurs et différents rôles.
Dre Colantonio
Nous avons également constaté que les probabilités d’exposition aux risques de traumatismes cérébraux liés au travail différaient et que les travailleurs de sexe masculin étaient plus susceptibles de subir un incident au travail. Les traumatismes cérébraux liés au travail peuvent être causés par un bris ou un dysfonctionnement de l’équipement. La façon dont les rôles de genre façonnent les choix de carrière et entraînent différents types d’exposition aux risques professionnels peut expliquer les différences d’exposition entre les genres.
Dans l’ensemble, nous avons mis l’accent sur les résultats pour la santé des femmes à la suite d’une lésion cérébrale, y compris les résultats à long terme sur la santé génésique. Plus récemment, nous avons examiné les lésions cérébrales chez les survivantes de violence conjugale. Nous avons collaboré avec des partenaires communautaires pour cerner les facteurs sociaux et environnementaux qui influent sur nos expériences. Nous avons ensuite examiné les obstacles et les mesures de soutien aux soins de santé, aux services de soutien social et à l’emploi, par exemple. L’objectif est d’orienter l’élaboration de ressources qui répondent aux besoins des survivantes de violence conjugale et de lésions cérébrales.
Chris
Dre Mollayeva, qu’avez-vous appris au sujet des travailleurs et de leur retour au travail?
Dre Tatyana Mollayeva
C’est une question intéressante; nous effectuons des recherches quantitatives et qualitatives.
Nos recherches quantitatives sur le retour au travail après une lésion cérébrale ont révélé que les facteurs associés à un retour au travail réussi après une lésion cérébrale comprennent le jeune âge, un emploi de niveau plus élevé avant la blessure, une meilleure santé mentale et physique, des antécédents d’emploi stables et un soutien au travail.
Nos recherches qualitatives sur le retour au travail après une lésion cérébrale, qui étaient axées sur les expériences vécues par les travailleurs, ont montré que le réengagement dans un emploi rémunéré est une expérience difficile tant pour les hommes que pour les femmes et nécessite un soutien continu en milieu de travail.
Nous avons également constaté que le retour à des tâches à temps plein, un objectif valorisé par les professionnels de la réadaptation, n’est pas toujours considéré comme un indicateur précis de la réussite de la réadaptation des travailleurs ayant subi une lésion cérébrale.
Dans l’une des études que nous avons menées auprès d’Ontariens ayant subi une lésion cérébrale légère liée au travail, tous les participants ont déclaré que les employeurs et les représentants de commission des accidents du travail ne comprenaient pas bien les conséquences de cette blessure. À leur retour au travail, la moitié d’entre eux ont déclaré avoir été blessés de nouveau.
Chris
Il semble y avoir une différence notable entre les genres et leurs expériences.
Dre Mollayeva
Nous avons également constaté une expérience de retour au travail plus positive chez les femmes occupant des postes traditionnellement féminins, comme les soins de santé et les soins sociaux, par rapport aux travailleuses dans des milieux considérés comme plus masculins, par exemple les domaines de la construction et de l’application de la loi.
Nous avons également remarqué que les facteurs associés au retour au travail différaient entre les hommes et les femmes, ce qui laisse croire que le fait de tenir compte du genre dans les efforts de réintégration peut contribuer à l’élaboration de politiques et de pratiques efficaces pour les travailleurs qui retournent au travail après une lésion cérébrale liée au travail.
Chris
Y a-t-il eu des apprentissages clés sur ce que les travailleurs ont jugé utile à leur retour sur le marché du travail après une lésion cérébrale?
Lin Haag
En fait, bien des gens nous ont beaucoup parlé, mais selon une étude que nous avons menée, le soutien de la famille et des amis a été le principal facteur qui a facilité le retour au travail. Les autres facteurs étaient l’aide des fournisseurs de traitement et les mesures d’adaptation en milieu de travail.
Certains des apprentissages clés que nous avons faits grâce aux gens qui sont retournés au travail après leur lésion étaient liés à un soutien individualisé et en milieu de travail, à des relations positives entre l’employeur et les collègues, et à un milieu de travail sécuritaire. Un soutien individualisé en milieu de travail qui répond aux besoins des travailleurs a certainement été un thème récurrent des discussions. Les travailleurs ont besoin de soutien; il peut s’agir de la disponibilité de collègues qui ont été en mesure d’apporter des modifications, des mesures d’adaptation aux tâches, de l’évaluation de l’étendue du matériel adapté requis, de la possibilité de travailler à temps partiel, du ralentissement de la réintégration ainsi que du renforcement positif et de la reconnaissance des efforts par les superviseurs.
Les travailleurs victimes de lésions cérébrales qui parlent de milieux favorables au retour au travail ont souligné l’importance d’une relation exempte de jugement avec l’employeur et les collègues. Ils ont donc décrit leurs pairs comme étant sensibles à leurs besoins lors du retour au travail après leur blessure.
Certains ont mentionné que les occasions de socialiser avec d’autres employés et les possibilités d’augmentation salariale et d’avancement étaient extrêmement importantes. Tous ces facteurs ont favorisé un sentiment d’appartenance et de confiance. Je me spécialise notamment dans le domaine de la violence conjugale et des lésions cérébrales. Lorsque nous avons discuté avec des femmes de leurs difficultés à trouver ou à conserver un emploi, elles ont parlé de l’importance de la compassion et de la compréhension chez leurs employeurs. Elles ont expliqué à quel point elles valorisent le fait d’avoir un employeur qui a des politiques claires sur les personnes à aviser et la façon de demander de l’aide, plutôt que de les laisser essayer de comprendre comment faire par elles-mêmes. Elles étaient reconnaissantes de la souplesse et du soutien par rapport à leurs besoins pour des choses qui sont en quelque sorte spécialisées, comme avoir besoin de plus de temps pour se présenter à des rendez-vous ou faire face à des difficultés pour la garde des enfants. Certaines femmes ont souligné l’importance des employeurs qui appuyaient spécifiquement l’amélioration du milieu de travail et la planification de la sécurité, en leur offrant la sécurité dont elles avaient besoin pour se concentrer sur leur travail. Toutes les femmes ont parlé de l’importance d’un emploi dans leur vie et de la façon dont il leur procurait non seulement une stabilité financière, mais aussi un sentiment d’estime de soi et d’identité personnelle, qui était extrêmement important pour elles dans l’ensemble.
Quand on examine des choses comme un retour au travail réussi, il est aussi important de discuter des problèmes de sécurité en milieu de travail qui entraînent des traumatismes et des lésions cérébrales. Nos recherches montrent que des risques et des dangers inutiles contribuent aux blessures des travailleurs. Nous avons constaté que les travailleurs ayant subi une lésion cérébrale liée au travail se sont souvent dits déçus que leur blessure n’ait pas directement mené à l’amélioration des politiques et des pratiques en matière de santé et de sécurité au travail au sein de l’organisation. Selon nous, ces constatations nécessitent une attention particulière, surtout en raison de facteurs comme le modèle d’indemnisation de l’Ontario fondé sur le rapport Meredith de 1914, qui représente un compromis historique : en échange de la renonciation au droit de poursuivre les employeurs pour leurs blessures au travail, les travailleurs, sans égard à la faute, devraient recevoir une indemnisation pour leurs blessures au travail. En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario, les travailleurs peuvent refuser ou cesser une tâche qu’ils estiment dangereuse. Donc, pour un travailleur qui retourne au travail où il a été blessé, les exigences en matière de santé et de sécurité au travail devraient être respectées.
Dans l’ensemble, des cultures solides en matière de santé et de sécurité qui encouragent l’analyse ouverte de tous les incidents facilitent l’amélioration de la santé et de la sécurité au travail en accordant une plus grande attention aux éléments structurels et sociaux du milieu de travail et en rémunérant équitablement les travailleurs qui s’efforcent de retourner au travail après une blessure. Ces cultures peuvent faciliter le retour au travail et les résultats des lésions cérébrales en général.
Chris (11:51)
Avez-vous trouvé des renseignements précis qui pourraient être utiles aux milieux de travail qui préparent le retour des travailleurs qui ont subi une lésion cérébrale?
Dre Mollayeva
Nos recherches et celles d’autres chercheurs ont montré qu’une grande partie de la variabilité des résultats en matière de retour au travail après une lésion cérébrale est attribuable à ce qui se produit en milieu de travail. Pour un employeur, une blessure liée au travail affecte à la fois la productivité et le coût de production, ce qui pourrait se traduire par une baisse des profits et compliquer les possibilités optimales de retour au travail pour l’employé blessé. L’employeur peut même considérer l’absence du travail comme la meilleure option si l’employé qui a subi une lésion cérébrale traumatique présente une déficience physique et cognitive, surtout si son revenu est couvert par une assurance.
Toutefois, selon nos recherches, le retour au travail après une lésion cérébrale peut être réussi grâce à la mise en place de mesures d’adaptation et à une communication ouverte entre l’employé et l’employeur.
Je vais vous présenter une citation d’une personne qui a participé à nos recherches et qui a discuté du rôle important que son employeur et ses collègues ont joué grâce à leur soutien et aux mesures d’adaptation qu’ils ont prises à l’égard de sa déficience cognitive découlant d’un traumatisme cérébral. L’employeur et les collègues se sont plutôt concentrés sur les capacités de la personne blessée et ont éliminé les tâches qu’elle ne pouvait plus accomplir. Cette personne a dit :
« Donc, ce qui s’est passé, c’est que mon employeur a dit : “Je veux qu’elle continue à travailler”, ce qui était incroyable. Parce que d’une certaine façon, je suppose que je suis un peu un fardeau vu que je ne suis pas au sommet de mes capacités, et elle m’a dit que je ne pouvais pas faire de paperasse, mais elle savait que j’étais encore très bonne avec les clients. »
Dans des groupes particuliers de personnes ayant subi une lésion cérébrale causée par la violence conjugale, les femmes nous ont dit à plusieurs reprises que ce qui comptait le plus pour elles, c’était d’avoir quelqu’un en qui elles pouvaient avoir confiance et qui pouvait les aider à naviguer dans les systèmes. Il peut être très difficile de trouver ce soutien, particulièrement en raison du lien entre les lésions cérébrales et d’autres formes de vulnérabilité comme la violence conjugale, les travailleurs faisant partie des minorités visibles ou les immigrants. Ce n’est que récemment que nous avons commencé à renforcer nos capacités en vue d’une meilleure compréhension. Nous avons mis au point des ressources comme la trousse d’outils sur les agressions et les lésions cérébrales, où les employeurs et les travailleurs victimes de lésions cérébrales peuvent obtenir de l’information sur le lien entre les lésions cérébrales et d’autres formes de vulnérabilité.
Chris
Avant de terminer, avez-vous des conseils à donner lorsque les travailleurs réintègrent le milieu de travail?
Dre Mollayeva
Cette question est très importante. Un point que nous n’avons pas mentionné est que nos recherches et celles d’autres chercheurs mettent en évidence l’incidence des facteurs psychologiques sur la manière dont les blessures au travail sont perçues et vécues. Les facteurs psychologiques d’auto-efficacité, les modèles d’adaptation et la disposition de la personnalité à l’optimisme sont très interreliés et sont largement influencés par le soutien familial, social et en milieu de travail ainsi que par les milieux physiques.
Les modifications en milieu de travail sont absolument importantes. Ces modifications peuvent prendre plusieurs formes, et il est assurément conseillé que les travailleurs victimes de lésions cérébrales qui se préparent à retourner au travail en soient conscients. Dans le cadre de nos recherches sur les personnes ayant subi une lésion cérébrale traumatique, les principales mesures d’adaptation officielles étaient la modification des tâches en raison de restrictions, un retour progressif au travail, une modification de l’horaire ou l’établissement d’un horaire précis qui répond aux besoins du travailleur blessé, un changement d’emploi ou un changement du moyen de transport. D’autres mesures d’adaptation comprennent la souplesse concernant les permissions pour les rendez-vous médicaux, les pauses fréquentes, les stratégies environnementales, comme la prise en compte du travail ainsi que de la sensibilité à la lumière et au son, et la disponibilité des technologies et des appareils fonctionnels.
Les spécialistes et les professionnels de la réadaptation sont très bien outillés pour élaborer des plans de retour au travail personnalisés qui répondent aux besoins des travailleurs ayant subi une lésion cérébrale. Et cela peut certainement soutenir les travailleurs dans leurs tentatives de retour au travail après la blessure.
Chris
Je tiens à remercier chacune d’entre vous d’avoir pris le temps de nous parler aujourd’hui et de nous présenter vos recherches sur les problèmes auxquels font face les travailleurs victimes de lésions cérébrales lorsqu’ils retournent au travail et sur la façon dont les milieux de travail peuvent les soutenir. Vous trouverez de plus amples renseignements sur le soutien aux travailleurs au CCHST.ca. Merci d’avoir été des nôtres!