<< Day of Mourning: Eugene Gutierrez' Story >>

Intro:

Ce balado est une présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.

Ashley:

Bienvenue aux balados du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST). Aujourd’hui. Eugene Gutierrez, un conférencier de Fil de Vie, se joint à nous. Bot, le père d’Eugene, a été tué en travaillant dans une mine souterraine en 2017. Depuis lors, Eugene honore la mémoire de son père en s’adressant à des auditoires pour leur parler de l’importance cruciale de la sécurité au travail.

Merci de vous être joint à nous aujourd’hui, Eugene.

Eugene:

Merci de m’avoir m’invité.

Ashley:

Pour ajouter un peu de contexte pour nos auditeurs. Vous avez récemment été invité à prendre la parole au CCHST et c’est peu dire que notre personnel a été ému par votre histoire. Commencez par nous parler un peu de votre père Bot et de la façon dont vous avez commencé à vous investir dans Fil de Vie.

Eugene:

Bien sûr. Mon père Bot était un géomètre de mines de 59 ans, avec 30 ans d’expérience. Il travaillait sur un terrain minier dans le nord de l’Ontario. C’était un gars décontracté et heureux, et il était connu pour son sourire et son rire contagieux.

Il prenait son travail au sérieux et il était compétent dans les tâches qu’il effectuait. En dehors du travail, il trouvait beaucoup de joie et de réconfort dans le jardinage. Il adorait la pêche. Il était un incroyable boulanger. La dernière fois que j’ai parlé avec lui, il était à six mois de la retraite, ce qu’il attendait avec impatience.

Il avait hâte de consacrer du temps à ses passions et de passer plus de temps avec sa famille et ses deux petites-filles. Le 27 novembre 2017 – un lundi matin –, c’était le début d’une toute nouvelle semaine de travail et il s’est rendu à la mine pour continuer à arpenter un nouveau niveau sous terre… un simple travail de routine pour lui, rien qui sorte de l’ordinaire. En même temps qu’il se rendait au travail, ce même matin, j’étais en fait à Toronto pour une présentation à un client et littéralement quelques minutes avant de faire ma présentation, j’ai reçu un appel particulier, parce que quand j’ai décroché, c’était le directeur de la mine. Je me suis dit, pourquoi cette personne m’appelle et puis, il a passé le téléphone... à ma mère, et je pouvais entendre par le ton de sa voix que quelque chose n’allait pas. Il y avait clairement quelque chose qui n’allait pas. Et donc, à ce moment précis… j’ai reçu la nouvelle que mon père avait été tué au travail… j’ai l’impression que c’était hier. Je peux entendre… Je peux entendre ces mots dans mon esprit.

Ce qui s’est passé, c’est que pendant qu’il effectuait son travail d’arpentage… le conducteur de benne minière n’a pas vu mon père dans un virage serré sous terre… ces bennes minières sont d’énormes tracteurs sur le terrain, conçus pour extraire et collecter la boue ou les débris des explosions, qui sont effectuées sous terre. Il va sans dire que cette grosse machine est connue pour avoir des angles morts. Il a tourné le coin et il n’a pas vu mon père… mon père regardait à travers la lunette de son équipement d’arpentage. Il a donc été frappé par-derrière et l’avant de la benne lui a sectionné les jambes au niveau du genou… c’était une façon horrible de mourir. Il s’est retrouvé dans la benne avant, avec la boue et les débris, et ce n’est que lorsque le conducteur a déchargé la benne à un autre niveau qu’il a découvert ce qui s’était tragiquement passé en trouvant le corps de mon père.

J’ai littéralement hurlé dans le couloir après avoir reçu la nouvelle de ce qui s’était passé. Je me suis effondré sur le sol… des collègues m’ont trouvé et ils ont essayé de me calmer. Je peux vous dire que la personne que j’étais est morte à cet instant précis. Ensuite, j’ai dû surmonter les difficultés entourant l’enquête… l’accident mortel de mon père sur son lieu de travail, le besoin de ma famille d’obtenir des réponses et d’en arriver à une conclusion, et enfin la nécessité de faire face à ma propre détresse émotionnelle dans la tourmente. Je savais que j’avais besoin d’aide et que je n’étais pas outillé pour faire face à cet enfer personnel dans lequel je me trouvais. En fait, c’est grâce à la recommandation du travailleur affecté par la WSIB à notre cas, alors que je cherchais des ressources de soutien et du counseling, que j’ai été mis en contact avec Fil de Vie. Et vraiment, à partir de là, ils ont été en mesure de m’écouter, et de m’offrir le soutien dont j’avais besoin.

Ashley:

Merci beaucoup d’avoir raconté cette partie de votre vie, Eugene. Je suis vraiment navrée pour vous. La plupart des gens ne peuvent qu’imaginer ce que l’on ressent lorsqu’on perd un parent alors que l’on est jeune. Votre père était si proche de la retraite et s’apprêtait à passer tout ce temps avec sa famille et ses petites-filles… et la façon dont il est mort. C’est tout simplement absolument déchirant.

Je suis vraiment désolée pour votre perte et ce que vous avez traversé.

Le CCHST entretient une relation étroite avec Fil de Vie. C’est essentiellement notre « Pourquoi? »… la prévention des tragédies sur le lieu de travail est la raison de notre existence. Dites-nous-en un peu plus sur la façon dont Fil de Vie soutient les familles qui doivent faire face à des tragédies professionnelles. Comment vous ont-ils apporté les réponses que vous cherchiez?

Eugene:

Oui. C’est une excellente question. Je pense que ce qui rend Fil de Vie unique, et en mesure de soutenir les familles qui ont été touchées par des tragédies sur le lieu de travail, c’est qu’ils comprennent vraiment ce que l’on ressent. Ils ont fait l’expérience directe des difficultés, du deuil, du poids émotionnel. Et pour les familles, comme la mienne, qui ont subi le même genre de perte, l’assurance que nous n’étions pas seuls… et le fait qu’ils savaient ce que nous ressentions… l’assurance que nous n’étions pas seuls dans cette aventure a compté beaucoup pour nous. Le réconfort qu’ils pouvaient offrir un soutien individuel par les pairs à ceux qui avaient besoin de quelqu’un avec qui discuter… je sais, je l’ai fait. J’avais besoin de cette personne qui serait capable d’écouter et de me permettre d’exprimer mes sentiments et mes pensées. Donc, l’assurance qu’ils ont fourni un type de service.

Le réconfort qu’ils ont des ressources pour aider à informer les membres de la famille, par exemple, sur ce à quoi s’attendre de la suite des choses comme les enquêtes, ce qui se passe, ou fournir des outils et des stratégies pour aider à gérer les sentiments de deuil. Le réconfort qu’il existait une communauté de soutien composée de membres de famille très accueillants, très tolérants, qui connaissaient la douleur à laquelle nous étions confrontés. Des membres qui, à leur tour, sont devenus une extension de notre propre famille.

Toutes ces choses, je dirais, ont vraiment contribué, pour moi et ma famille, à la guérison, au confort et à l’orientation dont nous avions besoin.

Ashley

Vous avez mentionné que vous n’avez pas été la même personne depuis le jour où cela s’est produit et, qu’à la suite de votre expérience avec Fil de Vie, vous avez été poussé à vous investir dans l’organisation et à raconter votre histoire pour aider à prévenir de futures tragédies sur le lieu de travail. Alors, qu’est-ce que ça a été de raconter votre histoire à des auditoires partout au Canada?

Eugene

Honnêtement, je dois dire que je suis très reconnaissant de chaque occasion de raconter mon expérience à de nouvelles personnes comme vous et à des auditoires partout au Canada, vous savez, pour certaines raisons.

Eugene

Tout d’abord, j’y vois une occasion d’honorer la mémoire de mon père. Pour que sa mort tragique et horrible ne soit pas vaine. Pour s’assurer que les gens – et c’est la principale raison – ne l’oublient jamais, lui et son histoire. Deuxièmement, ça me permet de vraiment aider à sauver des vies. Pour aider à empêcher d’autres familles de vivre ce que nous avons ressenti. Ce que nous… ce que nous avons traversé. Troisièmement, cela me donne l’occasion de représenter une organisation incroyable qui a franchement vraiment beaucoup aidé ma famille, et de contribuer à faire connaître cette organisation. Je ne peux pas imaginer où je serais aujourd’hui sans le soutien de Fil de Vie.

Ashley

Qu’est-ce que les gens comprennent mal à propos de la sécurité sur le lieu de travail ou de la perte d’un être cher dans une tragédie professionnelle?

Eugene

Hum… voyons voir. Oui, je pense que je vais répondre… je vais répondre à la deuxième partie de la question en premier et je reviendrai à la première partie. Je dirais que lorsqu’il s’agit de la perte d’un être cher à la suite d’une tragédie sur le lieu de travail, en raison de la nature de l’enquête, le processus d’investigation… l’aspect difficile est que vous n’obtenez pas tous les faits immédiatement. L’information semble parfois contrôlée. Elle est donnée à des moments précis ou à certains moments. Je ne pense pas que la plupart des gens réalisent à quel point la famille vit la douleur de la tragédie encore et encore et encore. Ce n’est pas aussi simple que ça : cet être cher est parti, vous traversez le deuil, vous essayez de guérir, et vous passez à autre chose. En réalité, vous pouvez passer des mois, vous avancez un peu, vous sentez que certaines des blessures se cicatrisent lentement jusqu’à ce que vous obteniez une nouvelle information sur ce qui s’est passé et puis tout d’un coup, vous recommencez le processus de guérison. Vous sentez ces blessures s’ouvrir de nouveau.

C’est comme un boomerang, non? C’est comme un boomerang… vous le lancez, il tourne autour, il revient. C’est exactement ce que l’on ressent. C’est ainsi que certains membres de la famille évoquent le processus. Ça continue dans ce cycle horrible. Il y a donc cet aspect.

Pour revenir à la première partie de la question. La mauvaise compréhension concernant la sécurité sur le lieu de travail… je pense que l’on a parfois l’impression que cela ne concerne que certaines industries. Les emplois qui présentent des dangers physiques inhérents évidents. La sécurité sur le lieu de travail est pertinente, vraiment, peu importe où vous travaillez. Pour quelqu’un qui a travaillé… je travaille dans un environnement de bureau. Bien sûr. Oui. Je ne vais pas au travail en devant porter un casque de sécurité ou des bottes à embouts d’acier, n’est-ce pas? Mais cela dit, des choses comme votre santé mentale, être conscient de choses comme l’épuisement professionnel. C’est tout aussi important pour les employés, de faire attention à des choses qui, je pense, ont été normalisées au fil des ans comme étant juste… « oh, ça fait partie du travail ». Ça fait partie du travail, mais vraiment, ce sont des questions que les employés de bureau, les personnes qui travaillent dans l’administration ou ce genre de rôles… ce sont des choses qu’ils doivent juste prendre en compte et je pense, au moins, même s’il y a une personne qui pourrait penser… « oh, vous savez, rien ne peut m’arriver, je suis assez en sécurité au travail… » que la réalité est que vous ne pouvez jamais être sûr. Vous ne savez pas ce qui va se passer. Donc, de ce fait, nous ne pouvons pas nous permettre d’être complaisants… mais également, nous avons tous des membres de notre famille ou des amis qui pourraient bénéficier d’un rappel sur l’importance de la santé et de la sécurité au travail. Je pense donc que c’est un aspect mal compris et j’espère que c’est quelque chose pour laquelle nous pouvons apporter notre aide… afin de mieux éduquer et d’apporter des correctifs.

Ashley

C’est tellement vrai. Et j’ai retenu de ce que vous avez dit que la sécurité sur le lieu de travail n’est pas quelque chose qui touche seulement une personne, mais aussi les personnes qui vous entourent. Elle touche les membres de votre famille. Elle touche les membres de la famille d’autres personnes. Avez-vous une dernière pensée que vous voulez offrir à notre public avant de conclure?

Eugene

Oui. Je dirai… je dirai ceci. C’est très simple. Vous êtes important. Nous comptons tous pour quelqu’un. Que ce soit un membre de la famille, un ami, un collègue de travail ou autre, n’est-ce pas?

Quoi qu’il nous arrive. Et je pense que vous l’avez un peu évoqué; il y a cet effet en chaîne. Il y a un effet en chaîne, et cela peut avoir des répercussions durables sur les personnes qui nous entourent. Donc, vraiment, nous tous. Nous devons tous faire notre mieux pour veiller les uns sur les autres. Et prendre soin de nous-mêmes. Je m’arrête donc là-dessus.

Ashley

Eugene, merci beaucoup d’être venu nous raconter votre histoire. Nous l’apprécions vraiment. Merci infiniment.

Eugene

Excellent! Merci de m’avoir invité.

Ashley

Fil de Vie. Aide les familles victimes d’une tragédie survenue sur le lieu de travail à trouver le chemin de la guérison en leur proposant des programmes et des services uniques de soutien aux familles. Leur collecte de fonds phare, « Un pas pour la vie », suit le Jour de deuil national et donne le coup d’envoi de la semaine nationale de la sécurité et de la santé en Amérique du Nord. Vous trouverez plus de renseignements sur cet événement sur www.stepsforlife.ca et sur www.cchst.ca.

Merci d’avoir été des nôtres!