« Carer-Friendly Workplaces »
Intro: Ce balado est une présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.
Le CCHST se situe sur le territoire traditionnel des Ériés, des Neutres, des Hurons-Wendats, des Haudenosaunee et des Mississaugas. Ce territoire est visé par le Pacte de la ceinture wampum faisant référence au concept du « bol à une seule cuillère », qui est un accord entre les Haudenosaunee et la Nation des Anishinabek visant à partager les ressources autour des Grands Lacs. Nous reconnaissons également que ce territoire est régi en vertu du traité Achat entre les lacs de 1792 entre la Couronne et la Première Nation des Première nation des Mississaugas de Credit.
Ashley :
Bonjour et bienvenue à De la SST pour emporter, une collection de balados du CCHST.
Nous aborderons aujourd’hui le thème de la prise en charge des personnes dépendantes et des lieux de travail favorables aux aidants. Nous accueillons aujourd’hui Nora Spinks, consultante et chercheuse de renommée internationale dans le domaine du travail et de la famille. Elle est aussi experte dans la création de lieux de travail favorables aux aidants et dans l’amélioration de la santé des collectivités.
Nora, merci de vous joindre à nous.
Nora Spinks :
Tout le plaisir est pour moi!
Ashley :
Voyons d’abord qui sont les aidants dans les lieux de travail canadiens. La perception que nous avons des aidants correspond‑elle à la réalité?
Nora :
Je crois que lorsque les gens entendent le mot « aidant », ils s’imaginent immédiatement une femme âgée, surtout parce que les soins sont en grande partie fournis par des femmes. Or, la notion d’aidants sur le lieu de travail englobe une population beaucoup plus vaste. Ce peut être un jeune aidant chargé de s’occuper d’un frère ou d’une sœur, d’un parent ou d’un grand‑parent. Il peut aussi s’agir d’employés à mi‑carrière qui s’occupent à la fois de leurs propres enfants et de leurs parents. Il y a aussi les employés en fin de carrière qui s’occupent d’un conjoint ou de petits‑enfants, d’un membre de leur famille ayant des besoins particuliers, ou d’un parent. Lorsque nous pensons à la prise en charge des personnes dépendantes et au lieu de travail, n’oublions pas que pratiquement chaque employé, à un moment de sa carrière, fournira ou recevra des soins. Partons donc du principe qu’à tout moment, une partie de vos employés aura des responsabilités en matière de soins. Ce sera peut‑être par obligation, en raison d’un lien familial, de la relation que l’employé entretient avec la personne qui reçoit les soins. Ce peut être aussi par engagement, envers un voisin ou un ami, et pas nécessairement en raison d’un lien familial, biologique ou juridique.
Ashley :
Je vois. Quelles sont les conséquences de la présence d’un aidant sur le lieu de travail pour les collègues et les employeurs?
Nora :
Les conséquences de la présence d’aidants sur le lieu de travail sont nombreuses et dépendent du type de soins prodigués par l’aidant, car nous considérons la question sous deux angles : celui de la durée, et celui de l’intensité des soins. Par exemple, il pourrait s’agir de soins de faible intensité et de courte durée, comme dans le cas d’une chirurgie d’un jour. Ce genre d’obligation distraira la personne pendant un court moment. À l’autre extrémité du spectre, les soins peuvent être d’intensité élevée et de longue durée, comme dans le cas d’un membre de la famille atteint de la SP (sclérose en plaques) ou de la SLA (maladie de Lou‑Gehrig), d’un trouble de démence, où l’intensité des soins augmente avec le temps, ou encore de soins palliatifs. Vous ne savez jamais si vous fournirez des soins palliatifs pendant une semaine, un mois ou un an. C’est moins prévisible, par exemple, qu’une grossesse, où vous savez quand vous commencerez à fournir des soins. Vous avez une assez bonne idée de la suite des choses, et vous pouvez planifier et prévoir en conséquence. Cependant, avec la prise en charge d’une personne dépendante, les choses ne sont pas toujours aussi prévisibles. Il se peut que votre conjoint soit dynamique, fort et en bonne santé, et qu’un diagnostic de cancer débarque sans prévenir. Tout à coup, vous devenez un aidant, et les choses peuvent s’intensifier pendant une courte période, ou de manière épisodique. Vous passerez à travers une période intense de chimiothérapie, après quoi l’intensité des soins diminuera. Puis il y a la radiothérapie, et les soins s’intensifient de nouveau.
Il n’y a pas deux situations qui se ressemblent. Cependant, ce qui est identique et constant, indépendamment de l’intensité et de la durée, c’est que vos employés auront d’autres priorités et engagements dans leur vie. Or, cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas, ou qu’ils ne veulent pas travailler. En fait, dans certains cas, le travail est pour eux un moment de répit.
Ashley :
En effet. Un sentiment de normalité.
Nora :
Exactement. Le défi consiste donc à trouver le bon équilibre. Comment soutenir une personne qui doit prendre en charge une personne dépendante, peu importe l’intensité ou la durée des soins fournis? Comment le cercle de soutien qui entoure cette personne sur son lieu de travail, ses collègues, son directeur, les membres de son équipe, peut l’aider à traverser cette période?
De nombreuses personnes ne révéleront pas nécessairement qu’elles jouent le rôle d’aidants si elles croient que leur lieu de travail les pénalisera si elles font une telle révélation. Elles n’auront pas de possibilités d’avancement, n’auront pas la possibilité de recevoir de la formation. Elles sentiront que cela sera considéré comme un désavantage.
Ashley :
Comme si elles étaient surveillées plus étroitement.
Nora :
Exactement. Ça, c’est une chose. La deuxième chose à surveiller, que vous soyez directeur, propriétaire d’entreprise ou délégué syndical, ce sont les éventuelles réactions hostiles. Donc, ce que nous observons le plus souvent, ce sont des collègues qui offrent au départ beaucoup de soutien. « Je suis vraiment désolé d’apprendre que ta mère est mourante. Vraiment? Je suis désolé d’apprendre que ton mari a reçu un diagnostic de cancer. Vraiment désolé d’apprendre que ton enfant est handicapé. » Or, s’il n’existe aucune mesure d’aide pour que les collègues continuent à être solidaires et attentifs à l’endroit des aidants, un sentiment d’hostilité pourrait naître chez ces collègues. Ce peut être très inconscient au départ, par exemple, un collègue qui fait la remarque que l’aidant « a encore dû s’absenter », « qu’il y a encore une autre urgence! ». Ce sentiment d’hostilité peut se mettre à grandir, et il faut faire très attention à cela.
Une autre chose est qu’il y aura des moments de distraction. Je me souviens d’avoir parlé à des responsables d’un lieu de travail où j’ai été appelée à intervenir en raison d’une crise. Une femme dont le mari souffrait d’une maladie du cœur devait s’absenter fréquemment pour s’occuper de lui après ses crises cardiaques. Puis, finalement, il a eu son rendez‑vous pour une opération à cœur ouvert. Elle a demandé une journée de congé, ce qui lui a été refusé. Elle travaillait sur une chaîne de production dans une usine de fabrication. Son mari se faisait opérer à 11 heures du matin, et son patron lui a dit « si tu t’absentes, tu ne reviens pas ». Elle a donc dû faire un choix entre un travail qui offrait les prestations de soins de santé dont il avait besoin ou…
Ashley :
… être là pour lui.
Nora :
… exactement. Elle a donc choisi d’aller travailler ce jour‑là. L’intervention commençait à 11 heures. À 11 h 15, il y a un accident catastrophique sur le lieu de travail parce qu’elle était distraite. Elle a commis une erreur parce qu’elle pleurait sur la chaîne de production. Une erreur a été commise. La chaîne de production a dû être entièrement interrompue, ce qui a coûté à l’employeur un million de dollars par quart d’heure d’arrêt. S’ils lui avaient accordé son jour de congé…
Ashley :
… pour faire ce qu’elle devait faire.
Nora :
… pour suivre son cœur ce jour‑là. L’entreprise aurait économisé tous ces millions de dollars, elle n’aurait pas été blessée, et elle n’aurait pas dû s’absenter en raison d’une invalidité de courte durée par la suite. Le directeur a dû ensuite subir les réactions hostiles de tous les collègues de la dame, car ceux‑ci considéraient qu’elle avait été traitée injustement. Un tel événement change la dynamique sur le lieu de travail. Et si c’était mon enfant? Ma mère? Mon ou ma partenaire? Et ce ressentiment commence à s’accumuler contre la direction. L’équilibre est très fragile entre le fait d’apporter son soutien, d’être réactif et de rester productif et performant.
Ashley :
Parlons donc un peu de l’impact qu’a eu la pandémie sur la composition des aidants sur le lieu de travail. Que constatons‑nous chez les personnes qui doivent composer avec la COVID longue, ou qui doivent s’occuper elles‑mêmes de membres de leur famille atteints de la maladie? Quel est l’impact de la COVID‑19 sur le contexte de la prise en charge des personnes dépendantes?
Nora :
Selon moi, depuis son apparition, au printemps 2020, la COVID‑19 a exacerbé la situation. Elle a mis en évidence et accentué les forces et les faiblesses de chaque système. Ainsi, la pandémie aura accentué les points réellement positifs, comme le dévouement, le professionnalisme et l’efficacité, tout comme les points faibles. Donc, lorsque nous pensons à la prise en charge des personnes dépendantes et aux aidants sur le lieu de travail, les employés qui pouvaient peut‑être cacher le fait qu’ils fournissaient des soins se retrouvent maintenant sur Zoom.
Leur frère ou sœur adulte souffrant d’un handicap passe sans arrêt devant la caméra. Votre mère pourrait être physiquement présente, mais devoir être rassurée de temps à autre. N’avons‑nous pas tous vu des animaux de compagnie dans l’angle de la caméra et vu l’intérieur du domicile de nos collègues? Nous avons vu nos cuisines, nos chambres à coucher, nos salons. Rapidement, un esprit d’intimité s’est créé entre nous. Nous nous sommes tous inquiétés pour nos collègues. As‑tu été malade? Comment te sens‑tu? Comment puis‑je t’aider à guérir, peu importe ce dont tu souffres? Ce genre de soutien a également été mis en évidence et accentué. Nous avons aussi vu toutes ces petites choses que les employeurs peuvent faire et qui peuvent faire une grande différence. La souplesse dont ils ont fait preuve en est un exemple : la possibilité de travailler à domicile, de travailler à distance, de contrôler et de gérer votre travail, quand et où vous produisez, peu importe votre emploi. La COVID‑19 a eu ceci comme avantage, même si ce n’est pas tout le monde qui s’est retrouvé à travailler à domicile.
Certains travaillaient sur une chaîne de production ou occupaient un emploi supposant une certaine mobilité. Il pouvait s’agir de chauffeurs de camion, ou de personnel d’une compagnie aérienne constamment en déplacement. Ces personnes ont besoin d’un autre type de soutien. Il n’existe pas d’approche unique. Même si chacun d’entre nous jouera le rôle d’aidant à un moment donné de notre carrière, il y a de fortes chances que ce dont vous avez besoin et ce dont j’ai besoin à ce moment‑là soient très, très différents. Nos cercles de soutien individuels peuvent être différents. Par exemple, des frères et sœurs peuvent se relayer pour que la prestation des soins ait un impact moindre sur leurs emplois respectifs. Par contre, il se pourrait qu’un frère ou une sœur habite à l’autre bout du pays et que ce soit toujours l’autre qui porte la charge des soins. Ainsi, chaque situation familiale est différente. Encore une fois, l’intensité et la durée des soins augmentent lorsque les choses se complexifient, et il n’y a rien dans la prestation de soins qui ne soit pas complexe. Il y a une composante financière, un élément émotionnel, un élément physique. Il se peut que vous ne dormiez pas bien et que cela nuise à votre capacité à vous concentrer. Cela vous expose à plus de risques. Aussi, en tant qu’employeur, que dois‑je faire pour m’assurer que mes employés aidants sont en sécurité, qu’ils peuvent continuer à être productifs et à contribuer à l’entreprise? Il pourrait s’agir de modifier les horaires, d’allonger la semaine de travail pour répartir les heures sur un plus grand nombre de jours. Il peut s’agir d’un régime de travail non conventionnel comportant moins de jours ou moins d’heures. Il y a de nombreuses façons pour les employeurs et les équipes de soutenir un employé qui a des obligations d’aidant naturel.
Ashley :
Nora, beaucoup de nos auditeurs proviennent du secteur de la santé et de la sécurité au travail. Quels conseils leur donneriez‑vous concernant l’évolution du profil démographique des aidants, le visage changeant des soins sur le lieu de travail?
Nora :
Eh bien, je pense que la santé et la sécurité au travail, ainsi que les ressources humaines, ont un rôle vraiment important à jouer sur le plan de l’éducation et de la sensibilisation de tous les employés, par exemple pour former les gestionnaires, pour les aider à comprendre comment ils peuvent améliorer ou aggraver la situation d’un employé qui doit gérer des responsabilités de soins. S’ils voient que quelqu’un éprouve des difficultés, ils doivent faire quelque chose. Les services de santé et de sécurité au travail et les ressources humaines peuvent aider les gestionnaires et les collègues en leur proposant des stratégies et des techniques efficaces et éprouvées, qui préservent la dignité et la vie privée de l’employé, sans toutefois le mettre dans une position où lui‑même ou ses collègues pourraient être en danger.
Je crois que ce qui est vraiment important ici, c’est que nous avons tous un rôle important à jouer. Aussi, la chose plus importante que les professionnels de la santé et de la sécurité au travail peuvent faire est de s’assurer que les aidants sont pris en compte, de continuer à en parler lors des dîners‑conférences et dans les communications, de continuer à s’informer et d’informer les cadres dirigeants et employeurs sur le sujet, et de mettre ce thème à l’ordre du jour des réunions de leur comité de santé et de sécurité au travail. Continuez à en parler, car c’est comme ça que nous garderons tout le monde en sécurité.
Ashley :
Y a‑t‑il autre chose que vous aimeriez ajouter pour nos auditeurs? Qu’est‑ce qui se prépare dans le monde des aidants? Quels points importants aimeriez‑vous qu’ils retiennent?
Nora :
Eh bien, je pense qu’il y a un certain nombre de choses qui se passent sur le lieu de travail et dans l’espace de travail et qui reviennent dans les conversations sur la prise en charge des personnes dépendantes et sur le lieu de travail. Premièrement, la COVID‑19 a mis cet enjeu en évidence : les gens parlent de soins et de prestation de soins. La population est vieillissante, et les gens parlent davantage du vieillissement et de la prise en charge des personnes âgées. Une part importante de cette population vieillissante est à la fois aidante et soignée.
Nous disposons de plus de ressources. Il y a une norme relative aux aidants, et une norme relative aux aidants sur le lieu de travail. Les gens peuvent utiliser ces normes comme cadre pour leur planification, leur préparation, et aussi, en quelque sorte, pour leur auto‑évaluation. Ils peuvent aussi passer par le processus et appliquer cette norme.
Il existe plus d’exemples de souplesse et d’avantages de l’autonomie, plus de façons pour les gens de gérer leur travail et leur famille, lorsqu’ils ont une certaine latitude sur le lieu et le moment où le travail est effectué, ainsi que sur la façon d’effectuer leur travail.
Selon moi, l’autre élément relève du soutien communautaire, où l’accent est de plus en plus mis sur la création de communautés amies des aînés qui offrent un certain soutien aux aidants et aident à partager leur charge de responsabilités. Ainsi, les communautés amies des aînés offrent la possibilité de soutenir les aidants et de réduire le stress et la pression qu’ils subissent que ce soit à court ou à long terme.
Ce qui est intéressant à propos de la prise en charge des personnes dépendantes et du lieu de travail, c’est qu’il y a aujourd’hui beaucoup de conversations sur les soins et sur la prestation de soins. De nombreux employeurs proposent désormais, dans le cadre de leur programme d’aide aux employés, des services de soutien, parfois des consultations sur la prise en charge des personnes dépendantes et les soins autoadministrés, donc de l’importance de prendre soin de soi en tant qu’aidant. Et si vous avez les deux mains dedans en tant qu’aidant, la dernière chose que vous voulez entendre est « tu dois prendre soin de toi, tu vas t’en sortir ». Ce dont les gens ont vraiment besoin, c’est d’un type de soutien qui n’est peut‑être pas celui que les gens demandent d’emblée. Prenons l’exemple d’un voisin qui éprouve des difficultés. Vous ne lui demanderez pas forcément ce que vous pouvez faire pour lui. Vous redressez simplement les manches, n’est‑ce pas? Vous cuisinez une lasagne pour deux, et vous lui en donnez la moitié, parce que vous savez qu’il appréciera le geste, que cela va le valoriser, même s’il ne vous l’a pas forcément demandé. C’est la même chose sur le lieu de travail. Si vous savez qu’une personne avec qui vous travaillez ou qui relève de vous ou dont vous relevez, un collègue ou même un client, est confronté à une situation de prise en charge d’une personne dépendante, il suffit parfois de lui apporter une tasse de thé, même s’il ne l’a pas demandé, de préparer une double portion de lasagne et de la lui offrir pour le dîner, car il ne dînera probablement pas s’il doit être à trois endroits à la fois.
Parfois, ce sont les petites choses qui font toute la différence. Nous pouvons le faire en tant qu’individus. Nous pouvons le faire en tant que collègues, en tant que gestionnaires, en tant qu’employeurs, en tant que délégués syndicaux. Plus nous travaillerons ensemble, plus les choses seront faciles pour les personnes et pour les organismes. Nous créerons ainsi des collectivités où les gens pourront être à la fois des aidants et des participants actifs et dynamiques à la main‑d’œuvre rémunérée.
Ashley :
Nora, c’est fantastique. Merci beaucoup de vous être jointe à nous aujourd’hui et de nous avoir fait part de vos connaissances.
Nora :
Ashley, c’est toujours un plaisir de parler avec vous.