Balado du CCHST : « Day of Mourning: Melanie Kowalski-Fleming's Story »

Introduction : Ce balado est une présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.

Le CCHST se situe sur le territoire traditionnel des Ériés, des Neutres, des Hurons-Wendats, des Haudenosaunee et des Mississaugas. Ce territoire est visé par le Pacte de la ceinture wampum faisant référence au concept du « bol à une seule cuillère », qui est un accord entre les Haudenosaunee et la Nation des Anishinabek visant à partager les ressources autour des Grands Lacs. Nous reconnaissons également que ce territoire est régi en vertu du traité Achat entre les lacs de 1792 entre la Couronne et la Première Nation des Premières nations des Mississaugas de Credit.

Elaine : Bonjour et bienvenue à De la SST pour emporter!, un balado diffusé par le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travaildepuis Hamilton, en Ontario.

Chaque année en avril, avant le Jour de deuil national, nous invitons une personne de l’organisme Fil de vie à venir nous raconter comment une tragédie survenue en milieu de travail a marqué sa vie. Le Jour de deuil national est souligné le 28 avril au Canada. Cette journée rend hommage aux personnes qui ont perdu la vie, qui ont subi des blessures ou qui ont contracté une maladie au travail ou par suite d’une tragédie en milieu de travail.

Fil de vie est une organisation caritative canadienne qui soutient les familles dont des membres sont décédés au travail, subissent encore les séquelles de blessures graves ou souffrent de maladies professionnelles.
Aujourd’hui, nous recevons Melanie Kowalski-Fleming, bénévole au sein de l’organisme Fil de vie, qui a perdu son mari Mark après que celui-ci eut été victime d’une chute au travail. Melanie nous fait part de son histoire personnelle dans l’espoir d’éviter que d’autres familles soient confrontées à des tragédies en milieu de travail, et de sensibiliser les gens à ce qu’ils peuvent faire sur leur lieu de travail pour favoriser la santé et la sécurité au travail.

Melanie, bienvenue et merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui.

Melanie Kowalski-Fleming : Merci beaucoup.

Elaine : Pouvez-vous nous parler de votre mari Mark et du type de travail qu’il exerçait?

Melanie : Mark et moi nous sommes rencontrés en 2008 sur une application de rencontre, étonnamment. La première chose qui m’a attirée chez Mark, c’est son sourire, son grand rire et son sens de l’humour. Nos familles avaient tant en commun que nous avons grandi l’un près de l’autre, en quelque sorte, sans jamais nous rencontrer. Nous avions l’habitude de dire à la blague que j’avais épousé le garçon d’à côté.

Mark aimait suivre les sports, en particulier regarder le hockey et jouer à Proline, prendre quelques bières et passer du temps avec moi en toute tranquillité les samedis soirs. Il était un grand amateur de Bud, et je pense que la majorité de sa garde-robe était constituée de t-shirts et de chapeaux Budweiser qu’il avait reçus gratuitement. Il aimait travailler dans son atelier la fin de semaine, trouvant toujours des projets à réaliser. Il vivait dans ses bottes de travail, et il en avait même acheté une paire toute neuve qu’il a portée à notre mariage. Il travaillait dur sur tous les projets qui lui tenaient à cœur, et il était un charpentier et un électricien très talentueux. Il a fréquenté le Fanshawe College, où il a obtenu un diplôme en gestion et génie de la construction, puis a poursuivi ses études pour devenir électricien industriel. Mark se dévouait à son travail et il travaillait pour la même entreprise depuis près de 17 ans au moment de l’accident. Il s’agissait d’une grande entreprise manufacturière spécialisée dans la réparation et le dépannage de systèmes électriques.

Elaine : Pouvez-vous nous parler un peu de la journée où vous avez appris que Mark s’était blessé?

Melanie : Notre vie a été bouleversée à jamais le samedi 2 avril 2011. Mark et moi étions mariés depuis seulement 7 mois. Cette journée-là, Mark s’est rendu à son travail pour faire du temps supplémentaire et, quelques heures plus tard, alors qu’il réparait un panneau électrique, il est tombé d’une échelle sur son lieu de travail, ce qui a entraîné des blessures dévastatrices qui ont changé le cours de sa vie.

Je me souviens parfaitement du moment où j’ai reçu l’appel téléphonique m’informant que Mark s’était blessé, notamment de ce que je faisais, de ce que je mangeais, de l’odeur de la maison. Je me rappelle que tout a ralenti et qu’une sorte de sentiment de calme détaché s’est emparé de mon esprit et de mon corps. Je l’ai ressenti avant même de décrocher le téléphone. Parfois, on sait, tout simplement.

Rien ne peut vous préparer à entendre la voix effrayée d’une infirmière qui vous appelle du travail. Tout ce que le personnel infirmier voulait me dire, c’est que Mark s’était blessé et qu’il était transporté en ambulance à l’hôpital. Cette conversation était si pénible. J’ai eu à peine la force de demander « Est-ce que j’ai cinq minutes pour m’habiller ou est-ce que je monte dans ma voiture et j’y vais? ».

Mark n’était pas du genre à aller à l’hôpital. S’il pouvait utiliser du ruban adhésif ou de la colle, il le faisait. Mais cette fois, la situation était telle que jamais le ruban adhésif ou la colle ne suffiraient.

Mes pensées s’enchaînaient à un rythme effréné, et pourtant tout semblait figé à ce moment-là. J’ai commencé par appeler mes parents, car je ne savais pas à quoi m’attendre et personne ne devrait être obligé d’apprendre seul de mauvaises nouvelles. Il n’y avait que mon père à la maison et il a tout laissé tomber pour venir. Nous sommes arrivés à l’hôpital et nous avons été immédiatement conduits dans une salle d’attente privée. Lorsque l’on souhaite connaître la gravité d’une situation, l’attente peut être insoutenable et interminable. Le médecin nous a expliqué que Mark était tombé d’une échelle dans un endroit confiné et qu’il avait subi de multiples blessures. Il devait être transféré immédiatement à l’unité de soins intensifs du Centre des sciences de la santé de London, car on ne pouvait pas lui prodiguer les soins dont il avait besoin.

Personne ne mentionnait à voix haute la gravité de la situation, mais je pouvais lire dans le visage de chaque personne que je croisais une grande inquiétude et de vives préoccupations. Avec le recul, je pense honnêtement que Mark n’aurait pas dû survivre à ses blessures. Mark a passé deux semaines dans l’unité de soins intensifs. Ce furent les deux semaines les plus longues de ma vie, à attendre de voir dans quelle mesure il s’en remettrait. Mark a subi une importante lacération à la tête. Il s’est brisé l’épaule à trois endroits et s’est cassé le cou au niveau des vertèbres C6 et C7, ce qui a nécessité une intervention chirurgicale pour stabiliser sa colonne vertébrale. Il a également subi de multiples fractures du crâne, qui ont causé un traumatisme et une hémorragie au cerveau.

Il a passé les premiers jours dans un coma artificiel afin que son cerveau et son corps aient le temps de se reposer et, encore là, personne ne savait avec certitude s’il se réveillerait ou quand il se réveillerait. Il s’est avéré que le réveil a été la partie la plus facile de toute cette aventure. Le retour de Mark à la maison a entraîné toute une série de nouveaux défis.

Elaine : Parlez-nous un peu plus des défis que vous et votre famille avez dû affronter par la suite.

Melanie : Encore aujourd’hui, je ne comprends pas très bien comment l’incident de Mark a pu se produire. Ce jour-là, il travaillait avec un collègue pour résoudre un problème sur une grande pièce d’équipement d’estampage. On m’a dit que l’espace n’était pas suffisant pour utiliser un élévateur et qu’il fallait donc utiliser une échelle pour accéder à un panneau électrique situé à une hauteur d’environ 3,5 mètres. Mark était sur l’échelle, et son partenaire travaillait sur le panneau principal à une certaine de distance de là. Aucun témoin n’a assisté à l’accident de Mark. Le partenaire de Mark l’a découvert après la chute, après être venu à sa rencontre parce qu’il ne répondait plus à leurs communications radio.

Je sais que cette zone était couverte d’huile et quelque peu confinée. Cependant, nous ne saurons probablement jamais ce qui a provoqué la chute. Je sais qu’une enquête approfondie a été réalisée et qu’une décision a été rendue, mais j’étais tellement préoccupée par le rétablissement de Mark que je n’ai pas posé beaucoup de questions à l’époque. Nous venions juste de commencer à construire notre vie ensemble. J’allais devoir maintenant m’occuper de tout à plein temps. Au début, à chaque rendez-vous, je notais tout pour pouvoir poser des questions ou faire des recherches, car la plupart des choses dont on me parlait me dépassaient.

Mark est revenu à la maison, désorienté, avec une attelle au cou et à l’épaule ainsi que des points de suture exigeant des soins. Il prenait tellement de médicaments que nous avions besoin d’une liste pour en assurer le suivi, et de minuteurs pour se souvenir de l’heure à laquelle il devait les prendre. Il avait besoin d’une surveillance constante et d’une assistance pour la plupart des gestes de la vie quotidienne. Nous avons dû installer un lit d’hôpital dans notre salon parce qu’il lui était difficile de se retourner ou même de s’asseoir. Il avait des crises, tombait souvent et se blessait continuellement.

Nous avons fait tout ce qu’il fallait pour créer un espace sûr et propice à la guérison pour Mark, y compris un détecteur de chute pour lui donner un sentiment d’indépendance. Pour ma part, je vivais dans la crainte constante de rentrer à la maison et de devoir gérer une nouvelle chute causée par une crise. Cela se produisait si souvent, et il y a eu beaucoup, beaucoup de visites à l’hôpital pour des points de suture. Il y a eu tant d’allers-retours. En fait, il y en a eu tant que nous plaisantions à propos de la possibilité d’obtenir une carte pour grands voyageurs. Appeler une ambulance faisait tellement partie de notre quotidien que j’étais prise d’angoisse et de tremblements chaque fois que j’entendais une sirène ou que je passais près d’un accident.

Vous mettez votre vie de côté lorsqu’une personne que vous aimez tombe malade, car tout ce que vous faites sert à l’aider à rester en aussi bonne santé que possible. Chaque jour était un nouveau défi, car l’état de Mark s’aggravait progressivement au lieu de s’améliorer. J’ai vu mon meilleur ami et mon époux autrefois si épanoui décliner mentalement et physiquement, mourant lentement sous mes yeux. Les années qui se sont écoulées entre le jour de son accident et celui de son décès ont été les plus effrayantes, les plus douloureuses et les plus traumatisantes de ma vie. Mark est décédé des suites de ses blessures quatre ans après l’accident, soit le 11 août 2015. Il a souffert de son accident du travail. Il s’est battu avec acharnement pour redevenir celui qu’il était avant.

Elaine : Je sais combien il est douloureux de parler de tout cela. Euh, comment en êtes‑vous venue à collaborer avec Fil de vie? Et comment cette organisation vous soutient-elle?

Melanie : Longtemps après le décès de Mark, j’ai dû composer avec des questions sans réponse et le chagrin. Je me suis évertuée à comprendre pourquoi cela était arrivé à notre famille. Je cherchais à donner un sens à la disparition de Mark et à faire part de mon expérience. J’ai travaillé dans un environnement industriel pendant plus de 25 ans. J’ai évité des accidents de justesse et j’ai été moi-même blessée au travail. J’ai participé à des vidéos, à des formations et à des exercices de sécurité. J’ai fait tout ce qu’il fallait et j’ai suivi toutes les formations nécessaires, mais ce n’est que lorsque l’accident de Mark a bouleversé ma vie que j’ai réalisé que je pouvais faire beaucoup plus. Faire connaître l’histoire de Mark et sensibiliser les gens aux répercussions concrètes des tragédies en milieu de travail est devenu pour moi une véritable passion.

Je n’ai appris l’existence de Fil de vie qu’après le décès de Mark. On devient à l’affût de toute nouvelle concernant des incidents survenus en milieu de travail, et c’est en lisant un article sur une autre tragédie vécue par une famille que j’ai appris l’existence de Fil de la vie.

Dès que j’ai lu la déclaration de mission de Fil de vie, j’ai su que cette communauté était pour moi.

Elaine : Comment êtes-vous devenue bénévole pour l’organisation?

Melanie : Mon cheminement personnel avec Fil de vie a commencé lors de ma participation à l’événement Un pas pour la vie dans la région de London (en Ontario). Cette année-là, j’ai mis sur pied une équipe appelée Work Boot Warriors, en l’honneur de Mark, et j’ai recueilli des fonds.

J’ai été inspirée par l’orateur de la famille que j’ai rencontré cette année-là, et par le fait de le voir rendre courageusement hommage à un membre de sa famille et de constater à quel point le lien avec la communauté pouvait être puissant. J’ai décidé à ce moment-là que c’était ma place. Cinq ans se sont écoulés depuis ce moment et non seulement j’ai toujours mon équipe, mais je suis également membre du comité Un pas pour la vie pour la région de London, guide bénévole pour les familles et conférencière bénévole pour Fil de vie.

Elaine : C’est formidable. Melanie, si vous aviez un conseil à donner aux gens sur la santé et la sécurité au travail, quel serait-il?

Melanie : Demandez-vous ce que vous pouvez faire aujourd’hui pour créer un lieu de travail plus sûr et plus sain. Pour ce faire, il suffit de connaître les trois droits fondamentaux de tout travailleur au Canada. Vous avez le droit de savoir quels sont les dangers présents dans votre milieu de travail et de recevoir l’information, la formation et la supervision dont vous avez besoin. Vous devez vous protéger. Vous avez aussi le droit de participer au maintien d’un milieu de travail sain et sans danger et de signaler les conditions et les pratiques non sécuritaires dans votre milieu de travail. Enfin, vous avez le droit de refuser d’exécuter tout travail que vous jugez dangereux pour vous ou vos collègues.

En suivant les procédures appropriées pour refuser d’effectuer un travail dangereux, vous sauvez des vies ou contribuez à le faire. Nous pouvons tous prendre des mesures plus proactives pour assurer la santé, la sécurité et le bien-être de tous ceux qui nous entourent.
Prenez le temps de vous renseigner et d’informer votre famille et vos collègues sur les pratiques sûres et saines à la maison et au travail. Tout travailleur a le droit de rentrer chez lui sain et sauf auprès de sa famille.

Elaine : Excellent conseil. Avant de conclure, avez-vous autre chose à ajouter pour nos auditeurs au sujet de votre expérience ou de Mark?

Melanie : Au Canada, trois personnes meurent chaque jour au travail des suites d’un accident, voient leur vie altérée par une blessure ou contractent une maladie professionnelle. Des centaines de personnes sont blessées et des milliers de familles, de communautés et de lieux de travail sont touchés. Bien qu’il soit très douloureux pour moi de partager l’histoire de Mark, j’espère que cela permettra d’éviter que d’autres familles ou lieux de travail ne subissent ce genre de perte.

N’hésitez pas à contacter l’organisme Fil de vie si vous jugez que ses ressources peuvent être utiles à votre communauté ou à votre lieu de travail. Établir des liens avec la communauté et les lieux de travail nous permet de continuer à soutenir et à sensibiliser les gens, et à faire en sorte que plus personne ne perde la vie à cause d’un accident du travail ou ne soit victime de blessures ou de maladies professionnelles qui altèrent la vie.

Elaine : Melanie, je tiens à vous remercier d’avoir partagé votre histoire avec nous aujourd’hui. Entendre les témoignages de familles qui ont été touchées par des accidents du travail nous rappelle l’importance des travaux que nous réalisons ici au Centre, ainsi que l’importance des efforts déployés par Fil de vie pour mettre fin aux blessures et aux décès en milieu de travail et aux maladies professionnelles qui altèrent la vie.

Chaque année, des milliers de personnes au Canada soutiennent Fil de vie en participant à la collecte de fonds Un pas pour la vie, qui a lieu généralement après le Jour de deuil national, à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai, pendant la Semaine de la sécurité et de la santé. Pour en savoir plus sur les activités prévues dans votre communauté et sur la façon d’y participer, consultez les sites www.stepsforlife.ca et www.cchst.ca.

Merci à tous d’avoir été des nôtres.