Balado du CCHST : Faire place à la neurodiversité au travail

Introduction : Ce balado est une présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail.

Le CCHST se situe sur le territoire traditionnel des Ériés, des Neutres, des Hurons-Wendats, des Haudenosaunee et des Mississaugas. Ce territoire est visé par le Pacte de la ceinture wampum faisant référence au concept du « bol à une seule cuillère », qui est un accord entre les Haudenosaunee et la Nation des Anishinabek visant à partager les ressources autour des Grands Lacs. Nous reconnaissons également que ce territoire est régi en vertu du traité Achat entre les lacs de 1792 entre la Couronne et la Première Nation des Premières nations des Mississaugas de Credit.

Raymond : Bonjour et bienvenue au balado De la SST pour emporter!, une présentation du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail en Ontario.

La promotion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion en milieu de travail peut aider à créer un environnement psychologiquement sûr et stimulant dans lequel tous les travailleurs se sentent respectés et valorisés. Mais, parfois, la stigmatisation, un manque de connaissances ou l’absence d’infrastructure appropriée peut faire en sorte que les personnes qui ont des différences neurodéveloppementales se sentent exclues. Ces conditions peuvent influer sur leur capacité de travailler à leur plein potentiel, en plus d’avoir des répercussions sur leur santé mentale. Aujourd’hui, nous recevons la docteure Marie-Hélène Pelletier, qui compte plus de 20 ans d’expérience en tant que psychologue et cheffe d’entreprise chevronnée. La docteure Pelletier est aussi l’autrice de The Resilience Plan: A Strategic Approach to Optimizing Your Work Performance and Mental Health (Le plan de résilience : une approche stratégique pour optimiser votre rendement au travail et votre santé mentale). Elle nous parlera notamment de neurodiversité et nous expliquera comment les employeurs peuvent créer des milieux de travail neuro-inclusifs qui tiennent compte des différences et des besoins individuels.

Docteure Pelletier, merci d’être avec nous aujourd’hui.

Marie-Hélène : C’est un plaisir d’être ici.

Raymond : Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la neurodiversité et quels sont les obstacles auxquels les personnes neurodivergentes peuvent être confrontées au travail?

Marie-Hélène : Oui, et c’est bien de commencer là, parce que c’est un terme qu’on entend beaucoup, mais comment on le définit en fait? Alors, très important, c’est un terme qui a été créé par une sociologue australienne il y a plusieurs années et qui réfère simplement à la diversité au niveau neurologique. Donc, c’est un peu un équivalent de la biodiversité : il y a de la diversité dans la nature, il y a de la diversité dans comment nos cerveaux sont organisés. Et donc, élément important, ce n’est pas un diagnostic, ce n’est pas un terme médical, c’est vraiment plus en fait un mouvement social à travers lequel on veut reconnaître cette diversité-là, la valoriser, l’optimiser partout, et c’est pour le bénéfice en fait de tout le monde. Alors c’est ça la définition comme telle. Et donc, parfois, une des images que les gens utilisent pour bien comprendre le terme, c’est en fait un peu comme les droitiers/gauchers. Il y a des gens qui sont droitiers, des gens qui sont gauchers, et c’est une différence, et ce n’est pas un problème, ce n’est pas un diagnostic, c’est simplement juste une différente façon d’être. Sauf que, si une personne est, par exemple, davantage gaucher [sic] dans un contexte où tout est fait pour les droitiers, les droitières, ça peut en fait créer des difficultés parce que la personne se trouve à constamment avoir besoin de s’adapter; elle peut même ressentir qu’elles [sic] ne sont pas compétents [sic], compétentes, elles ne sont pas appropriées, elles ne sont pas valorisées autant parce que tout autour est créé pour un autre type de fonctionnement, dans ce cas-ci, droitier. Donc c’est un peu la même chose d’un point de vue neurodiversité : si la plupart des choses sont organisées pour une population qui n’est pas neurodiversifiée, la personne qui arrive dans ce contexte-là, qui, elle, lui ou elle, a une neurodiversité, ça peut évidemment devenir une barrière dans un milieu de travail comme dans d’autres milieux de toute façon.

Raymond : Oui, absolument. Quelles sont les conséquences de ces obstacles sur leur santé mentale?

Marie-Hélène : On peut bien imaginer que – on s’imagine, tout le monde, vous, moi, tout le monde ici dans notre conversation, si on se retrouve dans une situation comme celle-là, l’environnement autour de nous est entièrement organisé pour un cerveau qui fonctionne différemment du nôtre, premièrement, ça va être plus « drainant » parce qu’on est déjà, la plupart du temps, en train d’essayer de voir comment s’organiser, comment je dois m’adapter, ou même avoir besoin d’expliquer ce qui se passe, d’expliquer ce qu’on [sic] a besoin. Donc, tout ça est déjà définitivement demandant et tout ça assume une bonne réception dans l’expression de nos besoins, ce qui n’est pas nécessairement toujours le cas, habituellement simplement parce que les gens ne comprennent pas ce qui est là. Mais ça a aussi un impact même sur un niveau très personnel, sur potentiellement l’identité de la personne qui se considère neurodiversifiée, parce que, éventuellement, de constamment recevoir ce message-là, ça peut devenir difficile. Je travaillais avec quelqu’un – avec qui je travaille encore ces temps-ci – qui me disait il y a deux semaines « ah, moi je suis une bizarre ». Pas nécessairement, pas du tout, en fait; simplement une personne qui est dans une neurodiversité. Mais, pour elle, c’était rendu beaucoup dans son identité et, comme tel, ça peut être très positif; dans ce cas-là, ça ne l’était pas. Donc ce sont des exemples d’impacts qui peuvent être là pour la santé mentale.

Raymond : Quels sont les principaux types de neurodivergence et en quoi représentent-ils une force en milieu de travail?

Marie-Hélène : Ça c’est une particulièrement bonne question parce qu’il y a plusieurs définitions; si on regarde différents types de recherche en neurodiversité, ce ne sera pas toujours la même liste exactement de diagnostics, parce que, comme on a dit, la neurodiversité, ça fait simplement référence au fait que nos cerveaux sont organisés de façons différentes. Donc ça ne veut pas nécessairement dire qu’on a un diagnostic, et ça ne veut pas non plus nécessairement dire qu’il y a une invalidité ou un problème au niveau du travail pour autant. Mais, en général, dans la plupart des études, ça va inclure des diagnostics de trouble d’attention, des diagnostics reliés au spectre de l’autisme, de la dyslexie, dyscalculie, dyspraxie, syndrome de Tourette et, parfois, d’autres, mais ce sont eux qui sont habituellement là. Et c’est important aussi parce que, des fois, on se demande « c’est quoi la prévalence, par exemple, de la neurodiversité? ». Là aussi, on a beaucoup de chiffres; des fois c’est 10 %, 15 %, 20 %, et donc ça dépend en partie de ce qui est inclus dans la définition, mais pas juste ça. Même si la définition était toujours la même, l’autre défi auquel on fait face, c’est qu’il y a plusieurs personnes qui ne sont pas diagnostiquées, il y a des personnes qui n’ont pas le bon diagnostic, il y a des personnes qui ont le bon diagnostic mais qui n’en parlent pas, donc ce n’est pas partagé. Donc, tout ça fait que, quand on regarde les taux de prévalence, ça peut varier beaucoup. Mais, en termes de forces, d’abord la première chose à garder en tête, avant même de regarder les forces particulières à, par exemple, des gens qui peuvent avoir ces types de diagnostic-là, une des choses qu’on veut garder en tête, c’est souvent un peu comme lorsqu’on parle de gens qui viennent de différentes cultures : oui, il va y avoir – ou différentes générations – oui, il va y avoir des choses qu’on partage dans une certaine génération, par exemple, dans une certaine culture, par exemple, mais souvent, même à l’intérieur d’un même groupe, il va y avoir beaucoup de diversité. Donc, on veut quand même toujours retourner à « quelles sont les forces individuelles de tout le monde? », qu’on soit dans la neurodiversité ou pas dans la neurodiversité, on veut garder cette perspective-là. Ceci étant dit, oui, des exemples de forces qui, parfois, vont être retrouvées avec des gens qui ont parfois ces diagnostics-là peut [sic] inclure une habilité à persister avec certaines tâches qui sont très répétitives, une façon de penser créative qui est particulièrement élevée et impressionnante, ça peut être aussi juste l’habileté à tolérer certaines tâches, et même, dans certains rôles, certaines organisations vont voir qu’une personne qui est neurodiverse [sic] va parfois travailler et accomplir avec plus de succès certains rôles plus vite que quelqu’un qui ne serait pas neurodiverse [sic], donc une personne qui ne serait pas neurodiversifiée. Donc, ce sont des exemples de forces qu’on peut observer.

Raymond : Très intéressant. Quelles sont les mesures pratiques que les employeurs peuvent prendre pour rendre les milieux de travail plus favorables à la neurodiversité?

Marie-Hélène : Oui, en fait, souvent, on peut apprendre de nos autres expériences. Dans nos milieux de travail, pour plusieurs d’entre nous, dans les dernières années, on a entendu parler beaucoup plus de la santé mentale en général, et l’une des choses qu’on a faites, c’est qu’il y a eu beaucoup plus de conversations, beaucoup plus d’éducation par rapport à ça. Et c’est un peu le même genre de chose qu’on veut considérer ici avec la neurodiversité. Donc, et même avant que je me lance dans des exemples d’actions au niveau employeur, de la même façon qu’on a fait ça pour la santé mentale en milieu de travail, plus on peut avoir une approche qui est une planification, une approche stratégique, mieux c’est, parce que lorsqu’on a une approche stratégique, on a pris le temps de regarder « OK, quelles ressources a-t-on présentement à l’interne? », « quels sont nos besoins? », « comment peut-on bien planifier et choisir les prochaines actions? » – dans un contexte de ressources limitées, il y a toujours un choix. Donc déjà d’y aller de façon organisée, de façon stratégique, ce serait une des bonnes recommandations. Mais si on rentre dans le détail de « quels peuvent être mes piliers stratégiques? », oui, il y a un pilier d’éducation probablement très important, parce qu’en l’absence d’information et d’éducation, l’être humain va avoir, va faire des assomptions, et là avec les assomptions, on rentre dans les stéréotypes, on rentre dans, pas nécessairement des procédés avec des faits, et donc ça, ça peut être pas utile, en fait pas du tout. Alors, éducation, on veut s’assurer de penser à la neurodiversité d’un point de vue individuel. Une phrase qui est souvent présente dans les recherches, dans les textes qui sont disponibles sur le sujet, plus particulièrement par rapport à l’autisme, vont dire « si vous avez rencontré une personne autiste, vous avez rencontré une personne autiste », dans le sens où chaque personne autiste comme chaque personne dans d’autres potentielles catégories de diagnostic ou, en général, même sans diagnostic, on va avoir notre propre individualité, et c’est ça qu’on veut aller chercher, c’est ça qu’on veut valoriser. Autres actions de l’employeur, considérer comment on peut accommoder de façon plus efficace, comment on peut supporter de façon plus efficace, par exemple il y a des situations dans des profils neurodiversifiés où on va avoir une plus grande sensibilité à la lumière, au son, par exemple. Donc il y a des choses qui peuvent être faites pour aider, ou bien oui, c’est ça, notre cerveau fonctionne différemment, donc peut-être que le processus d’embauche peut être revu pour être plus inclusif, pour s’assurer qu’on continue à recruter et à retenir des talents dans l’entreprise qui sont diversifiés et qui contribuent à encore plus de succès pour tout le monde.

Raymond : Comment les employés peuvent-ils être de bons alliés pour leurs collègues ayant une neurodivergence?

Marie-Hélène : Oui, j’adore cette question, parce que des fois on a l’impression – on peut avoir l’impression – que c’est quelque chose que l’entreprise doit décider et mettre de l’avant. Oui, définitivement un rôle au niveau de l’employeur, de l’entreprise, et définitivement un rôle pour nous tous et nous toutes. Donc il y a des choses qu’on peut faire qui vont aider, et je reviens déjà à la première chose : pour nous, c’est d’aller chercher de la bonne information. Si vous allez à une conférence et qu’il y a toutes sortes de sujets plus spécifiques à votre domaine d’expertise, mais il y a aussi une présentation sur la neurodiversité, allez-y. D’aller chercher cette information-là, ou même si on est sur les réseaux sociaux, rechercher des gens qui travaillent dans ce domaine-là, qui affichent des messages par rapport à ce sujet-là, et là vous pouvez ajouter votre voix, commenter, même juste faire un petit « like », mais ça, ça fait qu’on continue, nous, à en apprendre davantage et on aide d’autres à faire la même chose. Une autre chose à considérer : dans nos milieux de travail, s’il y a des gens qui ont déclaré faire partie de la catégorie des gens qui ont une neurodiversité, on s’assure [sic] l’inclusion. Donc on invite à la table, on invite sur les comités, comme on voudrait le faire avec tout le monde de toute façon dans l’entreprise, mais peut-être qu’on fait un effort encore plus grand, plus additionnel pour aller chercher cette voix unique nécessaire et qui va faire qu’on va nourrir une culture où on supporte la neurodiversité. Troisième chose que je suggère : quand on est ensemble au travail, en tant que collègues, et il y a peut-être des gens là-dedans qui ont dit qu’ils faisaient partie de la neurodiversité, peut-être pas, on ne sait pas, peut-être qu’on sait, ce n’est pas grave. Lorsqu’il y a une conversation, si quelqu’un exprime quelque chose par rapport à la neurodiversité en général ou à une personne en particulier qui a déclaré avoir un certain diagnostic et que c’est dit de façon particulièrement respectueuse, particulièrement positive, ajoutez votre voix. On peut dire par exemple : « Ah, Raymond, c’est vraiment le fun comment tu as parlé de cette personne-là », on la valorise comme on valorise tout le monde dans l’équipe, et je trouve que c’est très important. Parfait. Et si quelqu’un, de l’autre côté, si quelqu’un dit de façon un peu maladroite, ça n’a pas si bien passé que ça, si c’était de vous, si c’était de votre meilleur ami, peut-être que ça ne passerait pas si bien, on ne veut pas non plus parler négativement de la personne qui, malheureusement, a peut-être fait une erreur, mais on peut simplement juste redire la phrase. On la redit de la façon qui, en fait, serait beaucoup plus respectueuse, inclusive, et on continue la conversation. Comme ça, vous avez contribué à créer cette culture-là où, oui, on se supporte entre nous comme pairs dans l’entreprise, dans l’organisation.

Raymond : Souhaitez-vous ajouter quelque chose sur les raisons pour lesquelles il est important de s’ouvrir à la neurodiversité en milieu de travail?

Marie-Hélène : Je dirais, gardons en tête – et vous allez voir le parallèle encore une fois – quand on a commencé, il y a plusieurs années maintenant, mais quand même, à parler de la santé mentale en milieu de travail, le discours au début était beaucoup « ah, une personne sur cinq aura des problèmes de santé mentale dans le cours de sa vie » et tout ça, alors que, maintenant, c’est beaucoup plus « on a tous et toutes une santé mentale, on est tous et toutes dans le même bateau, dans le même continuum ». Oui il y a des situations où c’est un petit impact ou impact modéré, impact plus sévère, mais la réalité c’est que ça nous touche tous et toutes d’une façon ou d’une autre, directement ou non. On veut avoir la même approche avec la neurodiversité. On garde une approche où nous avons tous des cerveaux qui sont plus ou moins organisés de façon différente, donc on veut vraiment une approche d’inclusion et on veut une approche dans laquelle on participe à cette conversation. Donc restons curieux, restons curieuses, pour s’assurer d’aller chercher encore plus d’information et pour contribuer à supporter cette diversité-là.

Raymond : Docteure Pelletier, encore une fois, merci d’avoir pris le temps de participer au balado et de partager votre expertise et vos idées.

Au CCHST, nous savons que de bonnes choses arrivent lorsqu’une organisation prend des mesures pour créer un milieu de travail psychologiquement sain, entre autres en améliorant la mobilisation, le moral, la satisfaction, le maintien en poste et le recrutement des travailleurs. En reconnaissant la valeur de la neurodiversité, l’organisation et ses travailleurs gagnent en créativité, en innovation, en productivité et en résilience.

Merci à tous d’avoir été des nôtres.